La photographe française Estelle Hanania donne le ton du programme de sa maison d'édition Myriorama, inauguré avec l'œuvre « brute » et singulière découverte dans le caddie de Madame N., artiste en marge qui, à 78 ans, vend ses dessins sur les trottoirs de la banlieue sud de Paris les jours de marché.
Hélène N. a 78 ans, c'est au détour d'une rue que nous nous rencontrons, elle vend ses dessins stockés au fond d'un caddie usé qui roule sur les trottoirs les jours de marché à Antony. La découverte est stupéfiante, la centaine de portraits, majoritairement noir et blanc, parfois colorés par touches, se succèdent. Regards noircis, cheveux grattés jusqu'à en trouer le papier, même visage toujours renouvelé qui ressemble étrangement à celui de leur autrice. Parfois les versos de dessins laissent apparaître un fantôme mystique de femme comme ceux que Madame N. cru voir parfois dans les heures sombres de son passé.
Œuvre indéfinissable : il a semblé évident que ce travail remarquable devait inaugurer la maison d'édition Myriorama, pour mettre en avant le travail d'une artiste en marge, fascinée autant par l'Italie de la Renaissance que par la statuaire grecque ou la voix de PJ Harvey.
« Souvent quand on va voir Hélène, la radio est allumée. Elle nous raconte les images qui l'habitent et la vie qui est passée. Elle nous raconte le monde dans lequel elle vit. Hélène a beaucoup d'amis, mais beaucoup ont disparu. Elle nous raconte les cafés de la banlieue parisienne où elle partait la nuit pour vendre ses dessins et les cours qu'elle suivait en auditrice libre à l'École des Beaux-Arts. Elle nous raconte son mari qui pouvait rester devant les films jusqu'à l'aube et la confiture de fraises, la pâte montée de la pizza, l'origan et les gros haricots blancs que sa mère lui servait, la morue piquante, la polenta au civet, et ce que c'était que de grandir dans une ville qui a changé plusieurs fois de nom. Elle nous raconte les bateaux sur les rives de l'Algérie et les gens en pleurs dessus, le bruit des grenades la nuit et les jeunes filles aux chignons bananes et aux chaussures plates qu'elle voyait fumer dans le jardin de leur tante, juste sous son balcon. »
Extrait du texte « Le Regard Vert » de Laure Fernandez
Hélène N. est née en 1947 à Skikda (anciennement Philippeville) en Algérie, de parents siciliens et français. Hélène arrive en France à l'âge de 15 ans, sa famille s'installe alors à Palaiseau, banlieue située au sud-ouest de Paris. Sa vie de jeune fille sera marquée par des épreuves personnelles mais aussi une force de vie et une aspiration passionnée pour les arts qui la pousseront malgré des moyens limités à écumer musées et salles de cinéma, ainsi qu'à épuiser les répertoires musicaux. À la seconde moitié de sa soixantaine, elle se met à dessiner des portraits de femmes, en nombre bientôt incalculable. Reste de son œuvre, réalisée sur une dizaine d'années, une centaine de pièces aux formats allant du 24 cm × 32 cm à des petits papiers aux contours découpés. Beaucoup ont été perdues, jetées, ou vendues sur les marchés et dans les bars.