les presses du réel

Commémoration

extrait
Mémoires d'une ville nouvelle
Raphaële Bertho
(extrait, p. 61)


Photographier Sarcelles : le défi est de taille. Car il implique de se confronter à l'écueil des clichés sémantiques et de lieux communs visuels. Extraits.

Grands ensembles, ville champignon, mille fenêtres, ville satellite : c'est d'abord une vue aérienne sur un ensemble de tours et de barres aux dimensions improbables, parallélépipèdes aux lignes épurées qui s'étendent à perte de vue.

En effet Sarcelles semble naître dans les années 1950, quand la tranquille bourgade de la banlieue parisienne va devenir l'emblème de la politique urbaine menée après-guerre. Entre 1954 et 1976, tours et barres sont érigées ex-nihilo au milieu des champs de choux et de betteraves, et les quartiers des Sablons et des Lochères deviennent le plus grand chantier d'Europe. C'est alors une véritable ville qui sort de terre, composée de plus de 12 000 logements, ainsi que d'équipements administratifs, scolaires, commerciaux, de loisir et de transport.

Cité, ghetto, quartier sensible, jeunes, échauffourées, violences urbaines, émeutes
: le cliché est sombre cette fois, une vue de nuit, au téléobjectif. Des voitures brûlent, des silhouettes encapuchonnées sillonnent parmi les carcasses, les poubelles renversées et les jeux pour enfants. Un hélicoptère survole la scène pendant que les CRS se déploient.

Symbole des grandes réalisations modernistes, elle est aussi celui de l'échec du projet social qui les accompagne. Dès les années 1960 la sarcellite devient un fléau national, celui d'une banlieue qui semble devoir concentrer tous les maux de la société contemporaine. Des tensions sociales qui prennent le devant de la scène médiatique à intervalles réguliers, au gré des faits divers et des soulèvements ponctuels.
Entre grandeur et décadence, c'est un récit décidément dramatique que s'esquisse là, et aiguise la curiosité d'Emmanuelle Bayart. Méfiante face à cette icône urbaine à l'histoire contrastée, la photographe décide de contrecarrer une mémoire visuelle envahissante en faisant sa propre expérience des lieux. Elle choisit de se rapprocher, d'arpenter rues et places pour ramener la ville à la platitude d'une journée ordinaire, dans la lumière du quotidien.
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