Recueil de poèmes suivant le récit d'une reine, enceinte de populations secrètes, rencontrant son double sous la forme d'un ange au comportement de démon.
J'ai découvert
Mont Reine par une lecture radiophonique qu'Anna en a faite. De la première écoute, me sont restés les refrains, les rires moqueurs, les silences et les six mots qui servaient alors de conclusion au texte : « tout est réel amour seulement maintenant ». Cette fin m'a littéralement bouleversé, et j'ai demandé à Anna de m'envoyer le texte. Elle s'y est refusée d'abord : elle souhaitait le retravailler (elle dirait plutôt: « en refaire le tour »). Ce n'est que quelques mois plus tard que j'ai reçu le manuscrit de
Mont Reine, qu'Anna s'apprêtait à publier.
« Dans
Mont Reine : Une Reine secrètement enceinte de populations, a été attirée sur une île par un Ange qui lui promettait une fête en son honneur. Cet Ange a le comportement d'un démon qui joue avec les nerfs, il est surtout le double de Mont Reine, le double qui naît de son idéal à elle de voir se réaliser une utopie, celle du poème, celle de l'accouchement de ses populations secrètes. La Reine ne peut pas croire que l'île soit sa dernière demeure, alors quand elle ne tente pas de se jeter à l'eau courageusement, elle se retire en elle-même ou part à l'assaut de ses sommets. » A. S.
Le déséquilibre de la figure de la Reine est encore accentué par l'homonymie du « Mont » avec le déterminant possessif « mon ». Ici, Anna introduit un nouvel axe à la problématique du double : la question de l'
identité sexuelle. D'emblée tangent grâce au titre hermaphrodite, le sexe féminin de la Reine sera malmené : d'abord source de jouissance, il est rempli, fourragé, éventré, réduit à l'infertilité, tandis que s'érige, de plus en plus impressionnante, la montagne à laquelle la Reine se confond. C'est qu'Anna n'écrit pas comme une femme, mais contre la femme, qui est toujours telle qu'on l'a façonnée. Mont Reine vacillera constamment, au gré de sa lutte, entre volonté et passivité : ni tout à fait masculine, ni tout à fait féminine, elle est jusque dans son sexe un sujet, contingent des infinies fluctuations du réel.
Extrait de la préface de Jean-Baptiste Labrune
Seconde édition (2023).
Anna Serra (née en 1988 dans le Roussillon) est poète, exploratrice des oralités du poème, lectrice bilingue en catalan, auteure de nouvelles et animatrice d'ateliers d'écriture, notamment à la Maison Jules Roy de Vézelay. Influencée par l'art roman, les poètes du Grand Jeu, les évangiles apocryphes, la poésie contemporaine et son souffle performatif, l'anthropologie du don, de la fête et de l'extase, Anna Serra écrit avant tout avec les expériences auxquelles l'amène « un fort désir de libération ».
Anna Serra poursuit également des recherches universitaires en littérature et philosophie qui l'ont conduite à publier un mémoire sur le sort de l'imaginaire colonialiste dans la littérature sud-africaine, états-unienne et brésilienne. Ses recherches se sont ensuite concentrées sur la traduction de poètes contemporains italiens et catalans. Aujourd'hui, en plus de collaborer avec des plasticiens, des danseurs, des auteurs, des ingénieurs sons, elle met ses textes à l'épreuve de la création sonore.
Anna Serra est à l'initiative de deux œuvres collectives : la revue
OR, avec une application de réalité augmentée pour voir les lettres sortir de la page et entendre les poèmes ; et Radio O, une webradio de poésie et de musique. Depuis 2020, elle est maîtresse d'ouvrage du chantier de rénovation de La Perle (
la-perle.org), une ferme du Morvan qu'elle transforme en lieu associatif dédié à la « poésie pulsée ».