Fernweh (vinyl LP)

Publié à l'origine en 2012 sur le label impeccable Senufo Editions de Giuseppe Ielasi et Jennifer Veillerobe, « Fernweh » marque un tournant par rapport aux textures acoustiques austères des précédents « Aerae » et « Algae » (tous deux publiés sur Senufo), qui conduira aux environnements luxuriants et stratifiés des travaux solo ultérieurs sur Shelter Press, et aux expéditions électroniques épiques entreprises dans les projets en duo avec Stephen O'Malley et Jim O'Rourke.
Œuvre majeure de Kassel Jaeger, s'étendant sur deux faces de LP, « Fernweh » rassemble des matériaux synthétisés et de la musique concrète dans un ensemble mouvant. Son titre fait référence à un sentiment de nostalgie pour des lieux lointains – ce qui convient parfaitement à cette musique qui se déplace librement et de manière inattendue entre ce que Bonnet appelle des « climats ». Commençant par une électronique vibrante avec une évolution rythmique qui suggère des vagues déferlantes, la pièce à l'atmosphère clinique est bientôt hantée par des traces intangibles de la réalité vécue. Les textures évoquent le vent, l'eau, les insectes, le crissement des pieds sur le sable ou le tintement des verres, sans jamais pouvoir être identifiées avec certitude. Parfois, ces éléments concrets possèdent une « proximité » vivante ; parfois, les sons se fondent dans une distance indéfinie. Bien que l'auditeur ne puisse se faire une idée précise des sons concrets, ces éléments aèrent la musique et lui donnent de l'espace.
S'inspirant du langage formel rigoureux et de l'appareil conceptuel de la tradition française de la musique concrète – que Bonnet, en tant que directeur du GRM et familier de ses archives les plus profondes, connaît intimement –, la musique de Kassel Jaeger est également informée par la façon dont la musique expérimentale underground a repensé les techniques électroacoustiques. « Fernweh » évoque tantôt le grain « sale » d'excentriques para-industriels comme Maurizio Bianchi ou les frères Toniutti, tantôt la lenteur et la grandeur des premières œuvres d'Olivia Block.
Des caractéristiques subtiles de dynamique et de rythme fonctionnent comme un tissu conjonctif entre les nombreuses « scènes », avec des enveloppes ondulatoires, des pulsations rapides et de courts motifs en boucle sur bande magnétique qui reviennent tout au long de la pièce, partagés de manière ambiguë entre les sons électroniques et concrets. Au milieu de ces textures changeantes, souvent inharmoniques, les éléments électroniques se fondent parfois dans des formes mélodiques et des motifs d'accords, traversant le brouillard en arcs déformés ou étayant la surface stratifiée par des harmonies qui évoluent lentement.
Comme son ami et collaborateur Jim O'Rourke, Bonnet fait preuve d'une ouverture d'esprit radicale qui va à l'encontre de la tradition académique, permettant à l'émotion non dissimulée de coexister avec l'expérimentation rigoureuse. Alors que « Fernweh » s'éteint dans des frissons mystérieux, l'auditeur reste à la fois ému et incertain de ce qu'il vient d'entendre.