Universalité, multiplication des identités et disparition des altérités.
L'utopie d'une langue universelle et d'un urbanisme rassembleur, d'une compréhension mutuelle et d'une harmonie mondiale, qui remonte au mythe de la tour de Babel, est remplacée aujourd'hui par le techno-utopisme de la Silicon Valley. Aujourd'hui, nous croyons encore que la possibilité de communiquer par-delà nos particularismes religieux et culturels, la reconnaissance de nos intérêts communs et le partage de nos savoirs et de nos trésors culturels, tout cela devrait nous permettre de transcender la malédiction de Babel.
Le capitalisme de surveillance remplace les noms par des code-barres, des codes QR ou des puces. Le projet de la modernité d'instaurer l'universalité (de la justice, du beau, des luttes d'émancipation et des savoirs) est identifié à l'hubris des premiers habitants de Babel. Aujourd'hui, l'hubris moderne d'unifier le monde est frappé par la malédiction de Babel : les cultures se révèlent irréconciliables, chacune possède son langage et ses traumas distinctifs, son éthique d'équité et ses revendications de justice sociale.
Nous assistons à un effet Babel lorsque l'éclatement de l'idéal d'émancipation universelle produit un archipel d'identités sexuelles, ethniques, linguistiques. Une dé-symbolisation qui ouvre la voie à une cohabitation de systèmes de croyances ancrées dans des versions idiosyncrasiques de l'histoire. Dans cette Babel éclatée, sa foultitude d'identités, de minorités et de marginalités, les différences sont devenues redondantes et il n'y a plus d'altérité.
L'art n'est plus une forme de communication mondiale. Devant un film, un texte, une œuvre on ne pose plus la question « quelle exploration formelle, quelle articulation symbolique ? », mais « qui » l'a créé, au nom de quel groupe, quelle intention de résistance, quel refus de l'Occident et du futur pouvons-nous y lire ? Babel, c'est l'Occident : l'Autre comme centre creux, une universalité vide à laquelle nous sommes parvenus par la multiplication et donc la disparition des altérités.
Publié par les
Éditions Intervention (confondées par
Richard Martel à
Québec) trois fois par an depuis 1978,
Inter, art actuel (anciennement
Intervention) est un périodique culturel disséminant les diverses formes,
praxis et stratégies de l'art actuel –
performance, installation, poésie, multimédia –, tout en interrogeant les rapports de l'art au social et au culturel, au politique et à l'éthique.
Couvrant différentes manifestations artistiques et mouvances politico-culturelles internationales, directement engagé dans le renouvellement du discours sur les pratiques éphémères et émergentes,
Inter, art actuel est une tribune qui invite artistes, critiques et penseurs de la culture à prendre position (sous la forme d'essais courts, de critiques documentées et approfondies, de dossiers et de reportages, de chroniques et de comptes rendus) sur les enjeux qui touchent les pratiques de l'art actuel ou de tout domaine connexe, ainsi que sur les transformations de nos sociétés, du rituel au virtuel.