les presses du réel

Velázquez est dans les détails

extrait
(p. 17-19)


[En guise d'introduction : il est heureux que cette conférence réponde à l'invitation conjointe d'une université et d'un musée. Elle a été écrite pour être prononcée dans un autre musée, la National Gallery de Londres, à l'occasion de l'exposition Velázquez, voici quelques années. La National Gallery avait fait venir des peintures de Madrid pour les associer à celles qui étaient en Angleterre, et les conservateurs ont prêté une attention nouvelle à des œuvres souvent négligées. Ils se sont notamment intéressés à la Tela Real ou Chasse au sanglier de Londres. En écrivant ces mots pour accompagner une exposition, je me suis concentrée sur la peinture de Velázquez, notamment sa manière de peindre des petites figures comme celles qui peuplent cette Chasse au sanglier, visible depuis peu.
J'espère cependant vous persuader que mon propos concerne la pratique picturale de Velázquez en général et, au-delà, la nature même de la peinture.]
Comment, avec quel enracinement dans la tradition, et dans quelle intention picturale Velázquez peint-il les petits personnages qui hantent ses toiles ? Quand on y songe, ces petits personnages sont une étrange compagnie pour les portraits de grand format qui l'ont rendu célèbre. Qu'y a-t-il dans ces détails de propre à Velázquez, de propre au peintre ?
« Dieu est dans les détails. » Le mot qui m'a inspiré mon titre est un emprunt à deux grands savants européens : Aby Warburg et, après lui, Ernst Robert Curtius. Tous deux ont insisté sur la nécessité d'établir une multitude de faits particuliers (de détails) – qu'il s'agisse d'images spécifiques (Warburg) ou de phénomènes littéraires (Curtius) – qui, une fois analysés, forment la synthèse qu'est la compréhension. Pour moi, c'est une manière frappante d'attirer l'attention sur mon sujet. Mais elle pose aussi une question. Les détails de Velázquez débouchent-ils sur une synthèse ? Est-ce ainsi qu'opèrent ses détails ?
Les petits personnages apparaissent pour la première fois en 1618, en l'occurrence dans le Christ dans la maison de Marthe et Marie, que Velázquez peignit quand il n'avait que dix-neuf ans et habitait encore Séville, sa ville natale. Ils persistent dans les œuvres majeures jusqu'aux Fileuses, peintes à Madrid en 1658, deux ans avant sa mort. Quelques personnages de certaines toiles ont prêté à discussion, sans qu'on en traite cependant comme d'un phénomène unique : peut-être est-ce simplement qu'on ne les a point perçus ainsi.
Pour commencer, qu'on me permette de présenter rapidement les toiles que nous allons examiner. Ne vous attendez pas à ce que tous les petits personnages aient l'air identique. S'ils ne partagent pas tous les mêmes traits, tous en partagent certains.
Détails de Marthe et Marie et des Fileuses [toile complète à gauche, détails avec petits personnages à droite] La Reddition de Breda ; Les Ménines ; et, peut-être, l'œuvre la moins connue : Le Prince
Baltasar Carlos à l'école d'équitation
; et enfin La Chasse au sanglier également connue sous le nom de Tela Real. Je n'en montre pas de détails parce que cette toile se compose entièrement de détails ou de petits personnages. C'est cette peinture qui m'a mise sur ma piste.

(...)
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