S'intéressant aux contributions qui explorent le composite comme formes d'art et de design, comme méthodologies et pratiques de recherche et/ou comme concepts théoriques, le numéro 60 de la revue Azimuts – Design Art Recherche propose d'appréhender le composite en tant que mode de présentation ou de représentation des réalités.
Différentes hypothèses ont été explorées par les chercheur·euses et créateur·ices réuni·es ici. À la lecture de leurs propositions, on peut considérer que leurs récits définissent le composite soit comme lisse car la colle qui agrège les composants divers est invisible ; soit comme rugueux car la colle, à l'inverse, est visible. Ainsi, ce numéro d'
Azimuts propose, par leurs biais, de comprendre et définir les matérialités spécifiques de cette colle en ce qu'elle est un liant, négociant des relations. Il s'agit alors d'envisager ces matières collantes comme un espace, une transition, une coupure voire un silence. Ou encore, pour citer le romancier, poète et philosophe
Édouard Glissant, « comme une relation, une opposition ou une consécution ».
Dans son entretien avec l'historienne du design Indiana Collet-Barquero, Alex Delbos-Gomez, designer, revient sur la recherche menée dans le cadre de son Diplôme Supérieur de Recherche en Design où, s'appuyant sur la pensée d'Édouard Glissant, il définit le composite comme baroque. Le télescopage stratifié et sédimenté de matériaux devient alors un outil de création.
Le philosophe, designer et développeur du web Adrien Payet analyse les capacités fonctionnelles et morphogénétiques intrinsèques du composite web original, fondé sur les langages HTML et CSS. Depuis le champ du design, et avec une certaine urgence politique, Payet lance un appel à privilégier les qualités spécifiques du web afin de résister à la domination du script.
Louise Wambergue-Gouble, chercheuse en design graphique et études visuelles, analyse l'architecture composite développée sur les billets en euros pour définir le composite en tant qu'assemblage fictif de bâtiments représentant des principaux mouvements artistiques européens. Ce montage se veut être une tentative pour créer une identité commune de l'Union européenne.
Colin Riccobene, artiste, qualifie sa méthode sculpturale de composite : revendiquant une pratique de l'itinérance, il prélève dans les espaces qu'il arpente des fragments matériels et mémoriels, qu'il vient ensuite lier (coller) selon leurs qualités plastiques, techniques ou même sentimentales.
La proposition des chercheurs en design Gabriele Colombo et Donato Ricci se situe à la frontière du composite et de la composition. En considérant que des données obtenues dans le cadre de processus de recherche sont des matériaux informels et hétérogènes, ils explorent les méthodes utilisées pour réorganiser ces contenus en vue d'établir de nouveaux sens et usages.
Considérant la traduction comme un mécanisme de réassemblage, nous avons décidé de présenter une version française inédite d'un texte de l'artiste espagnol Pedro G. Romero sur la « loi mosaïque » qui, selon lui, est inhérente à tout réassemblage. Briser une image, affirme-t-il, implique une loi sur sa future reconstruction. Son texte annonce une science du brisé, du fragment.
Dans son article, la designer d'interaction Margaux Crinon, établissant un audacieux parallèle entre le geste du sampling proposé par l'Akai MPC 60 et le geste de l'échantillonnage orchestré par les chercheur·euses dans la Réserve mondiale de semences du Svalbard, invite à percevoir le composite comme une pratique écologique.
Cécile Poulat, designer, traite du composite comme d'un système narratif des récits situés des espaces stratifiés qui l'ont constitué en partant d'un cas d'étude, le matériau bois contreplaqué, récupéré dans le bâtiment démantelé du World Trade Center de Bruxelles. Elle l'aborde également comme un système permettant de re-composer de nouvelles relations entre les objets, les personnes et les espaces architecturaux et urbains.
Avec son article « Black mass » (« Batteries Active Materials Mixture »), Davide Marcianesi, artiste interdisciplinaire et chercheur, s'intéresse à la poudre toxique – et composite – obtenue lors du processus de recyclage ou de valorisation des batteries (lithium-ion) : une mixture chimique et culturelle, invisible et dangereuse, où les corps humains et non-humains composent avec des histoires et des matériaux modernes dans laquelle la nature se réduit en ressource exploitable.
Dans son projet de diplôme, Morgane Rousseau, designer, développe à partir des poèmes d'Ilse Garnier, Giovanna Sandri, Jérôme Peignot ou Pierre Garnier, des objets composites où les éléments typographiques de la poésie concrète deviennent des connecteurs afin de créer de nouveaux artefacts et usages.
La designer Leïla Bouyssou interprète la fibre de laine comme un matériau composite et propose un renversement de perspective : quelles histoires voulons-nous raconter, quels objets voulons-nous façonner à travers la fibre de laine lorsqu'on reconnaît l'impact des conditions naturelles, économiques, sociales et politiques sur les animaux ?
Ce numéro est porté par l'équipe de recherche Spacetelling de l'École supérieure d'art et design de Saint-Étienne. Spacetelling étudie la performativité des artefacts (artistiques, industriels ou scientifiques), des récits (visuels et matériels) et des pratiques qui désignent nos réalités dans le contexte socio-économique post-industriel et la crise environnementale actuelle. Il fait partie de l'Unité de Recherche Design & Création de l'Esadse.