les presses du réel

Nouveau monde et nouveau mytheMutations du surréalisme, de l'exil américain à l'« Écart absolu » (1941-1965)

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Avant-propos (p. 5)

Traiter des mutations du surréalisme aux États-Unis est une gageure tant la problématique recouvre d'innombrables acceptions et points d'ancrage. Les difficultés sont de plusieurs types. Tout d'abord, on ne trouve pratiquement aucune publication en français sur cette période. Seuls quelques ouvrages, essentiellement américains, existent, mais se contentent de démontrer l'influence du surréalisme sur l'école de New York. Quant aux sources, multiples, elles doivent être consultées tant à Washington et New York qu'en France.
La complexité du sujet tient également à la nécessité de parcourir les univers de nombreux protagonistes, peintres, poètes et sculpteurs, pour tenter d'en extraire une tendance, un ou plusieurs indices révélant un déplacement, un changement, une mutation du surréalisme. Les œuvres de Tanguy, Brauner, Duchamp, Masson, Breton, Matta, Seligmann, etc., sont des mondes fertiles et un temps incompressible s'impose pour les pénétrer et les interroger. Par ailleurs, le choix a été fait de ne pas traiter le cas Dalí dans la mesure où l'artiste avait déjà été exclu du mouvement et où la poursuite de son propre cheminement n'a pas eu d'incidence sur le groupe surréaliste après 1940 (l'héritage dalinien avait été intégré au cours de la décennie précédente).
Une autre difficulté consistait à retrouver les éléments de la culture américaine ayant conduit les acteurs surréalistes à transformer leur manière de voir et d'agir. Il était donc crucial de s'imprégner d'un contexte et d'une culture littéraire, poétique, cinématographique, scientifique, en vue de décrypter, ici ou là, avec une certaine acuité, des inférences propres à étayer le propos.
Cette recherche sur le surréalisme pendant l'exil américain ne saurait être définitive. Plusieurs points restent en friche et requerront une étude de fond : le surréalisme et l'Amérique centrale, sujet pour lequel Benjamin Péret et Wolfgang Paalen sont des acteurs importants ; le surréalisme et les Antilles avec la poésie d'Aimé Césaire, de Lucie Thésée, de René Ménil, etc. ; le surréalisme et le culte vaudou.


Introduction (p. 7-16)

À vouloir montrer les influences qu'ont pu recevoir tel peintre ou tel mouvement dans un contexte particulier, on s'engage dans une activité périlleuse et il devient difficile de ne pas éviter l'écueil qui nous fait face. Dire que l'exil des surréalistes aux États-Unis a eu une influence sur leur mouvement d'une part anticiperait sur la conclusion, d'autre part ferait penser à l'existence d'un lien purement causal, ce qui n'est pas le cas. Ainsi la question de savoir pourquoi le Nouveau Monde a eu une action sur le surréalisme allait-elle prendre de l'importance au détriment d'un certain nombre de rapprochements formels et iconographiques qui certes auraient validé l'hypothèse de départ, mais sans la fonder scientifiquement.
Nous avons donc évincé ce que l'acception d'influence a de « pervers », d'ambigu pour recourir à la notion de mutation qui permet de comprendre les raisons de ce changement. Lorsque certains surréalistes comme Matta, Ernst, Masson ou Brauner ont recours à l'ésotérisme, la kabbale, la physique quantique ou « l'écart absolu » de Charles Fourier , leur comportement est bel et bien motivé en réponse aux conditions du moment. De la même manière, lorsqu'André Breton décide de faire tel ou tel choix parmi l'ensemble des possibilités que lui offre l'immersion dans le monde américain, il donne au surréalisme un rôle actif dans l'appropriation d'éléments qui lui sont extérieurs.
Notre postulat de départ était donc d'émettre l'idée qu'il existe forcément des causes qui expliquent pourquoi Breton, Matta, Ernst – ou le surréalisme dans son entier – se réfèrent à ce qu'ils trouvent dans le Nouveau Monde, mais également qu'il y a une volonté active de la part des protagonistes de faire tel choix dans ce contexte culturel.
L'analyse critique de la notion d'incidence qu'aurait pu avoir le Nouveau Monde sur le surréalisme montre, non pas que le surréalisme se transforme docilement, mais qu'il s'approprie de nombreux éléments tout en transformant la lecture que l'on aura désormais de ces éléments. La totalité du champ historique s'en trouve modifiée : les civilisations amérindiennes, la bande dessinée et la littérature américaine, la philosophie de Charles Fourier et les doctrines ésotériques ne seront plus jamais les mêmes après avoir transformé le surréalisme. La notion de mutation implique des interactions qui ne laissent pas indemnes les différentes parties.

Pour échapper à la construction d'un système de pensée qui verrait un flux actif transmuer un surréalisme passif, comme la notion d'influence semble le laisser croire, il faut renoncer à traiter le problème à distance et revenir au plus près des œuvres, aller à la source, et voir que tout est affaire de choix de la part des artistes. La peinture, la poésie et la pensée surréalistes seront questionnées par l'exemple plutôt que par un discours théorique d'ensemble.
C'est la raison pour laquelle la description des œuvres, bien que complexe et minutieuse, est privilégiée, de façon que l'explication et éventuellement la démonstration aient toujours pour point de départ l'observation. Aborder le travail du peintre ou les métamorphoses du surréalisme, c'est tenter de comprendre en quels termes se posait le problème auquel l'artiste voulait répondre et les conditions particulières qui l'ont amené à se le poser.
Si André Breton affirme l'importance de l'ésotérisme, de la civilisation amérindienne ou des théories de Charles Fourier, n'est-ce pas aussi parce que ces modèles empiriques lui fournissent des solutions susceptibles de l'aider à traiter certaines problématiques, telle que celle concernant la naissance du mythe ? Transparaît alors l'action intentionnelle dans le regard que portent les protagonistes exilés sur les primitivismes amérindiens et leurs manifestations magiques. Ainsi, André Breton, Matta, Brauner, Duchamp, Tanguy, etc., donnent-ils une importance théorique et historique à des peuplades indiennes, à la philosophie fouriériste ou à l'ésotérisme, qu'on était loin de leur attribuer en 1941-1945. Même si le premier ne retient et ne voit que certains aspects du travail de Fourier, des occultistes, des auteurs américains ou des primitivismes, appliquant à ces matériaux de départ un traitement tout personnel, lié à son propre univers de représentation et au développement du mouvement surréaliste.
Les mutations, les transformations du surréalisme interrogeront donc la notion d'influence sans pour autant établir un lien uniquement causal. Une complexité supplémentaire tient au fait que le surréalisme rassemble des acteurs aux sensibilités différentes, dont certains sont des nouvelles recrues. Le groupe, plus ou moins homogène, travaille néanmoins autour de sujets connexes et c'est via cette approche de la mutation des valeurs picturales ou poétiques que les investigations peuvent se concentrer sur la période américaine du surréalisme.
Ces différents types d'appropriation montrent en effet que c'est au cours de la période américaine, autour d'André Breton, que les surréalistes sont en mesure de construire une nouvelle architecture de leur pensée et de conduire une véritable recherche personnelle, celle qui consiste à faire des choix plastiques et poétiques.

L'analyse de la publication des revues View, VVV et de la programmation de l'exposition First Papers of Surrealism (1) est capitale pour pointer les artefacts concernés par cette recherche. Il est nécessaire de surcroît de procéder sans cesse à des retours en arrière, car les centres d'intérêt des années 1924-1939 participeront à l'élaboration du langage, de la pensée des concepts que les surréalistes expérimenteront aux États-Unis.

Il semblait pourtant acquis jusqu'à aujourd'hui que le surréalisme avait connu une sorte d'apogée, et que la guerre, puis l'exil avaient fini de le circonscrire sous la désignation d'une avant-garde de la première moitié du siècle. La révolution surréaliste avait été entérinée par les événements, et la publication de l'Histoire du surréalisme de Maurice Nadeau en 1945 enterrait toute possibilité d'agir, lui interdisant de jouer un rôle majeur après la Libération. Enfin, l'occultation profonde du surréalisme, telle que voulue à la fin du Second Manifeste, allait fournir les moyens de son ensevelissement.
Ainsi, le sentiment presque unanime était que le surréalisme avait eu une évolution de type linéaire, renouvelant ses peintres et ses auteurs, sans pour autant s'adapter à son époque, ni proposer une réelle perspective historique. Cette impression était confortée par le fait que les surréalistes reprennent après 1945 des idées et des schèmes développés dans la période de l'entre-deux-guerres.
En fait, il ne s'agit pas pour eux de trouver de nouvelles sources d'inspiration, ni de renier d'anciennes muses, mais de réactiver plus fortement encore et peut-être de façon plus mature les grandes découvertes des années 1930. Cette étude se propose donc de montrer que les mutations du surréalisme, loin de correspondre à un changement de ses fondements théoriques, sont une étape nécessaire au développement du mouvement. Par ailleurs, nous verrons que ces nouveaux traitements de l'image et des concepts trouvent le moyen de s'inscrire dans une stratégie d'appropriation par le surréalisme de la modernité du Paris des années 1950-1960, alors qu'il n'en est pas le catalyseur essentiel.
Qui plus est, le basculement des valeurs du surréalisme pèse sur le devenir du mouvement lui-même dans les années qui suivent le retour en France. Cette incidence est particulièrement passionnante : elle témoigne d'une sorte d'héritage culturel de l'exil agissant sur la peinture et la poésie surréalistes des années 1950-1960. Car comment comprendre la présence des peintres Hyppolite, Crépin, Laloy, Le Toumelin, Degottex, Riopelle aux côtés des surréalistes de la première heure, si ce n'est par une affirmation radicale de la quête surréaliste. Étudier les mutations du surréalisme implique donc de préciser les territoires d'investigation des surréalistes à New York, et de découvrir à quel moment précis ils s'épanouissent.
C'est pourquoi cet ouvrage s'attarde-t-il essentiellement à décrypter les mutations du surréalisme de 1941, date du départ d'André Breton vers les États-Unis, à 1965, celle de la dernière Exposition internationale placée sous le signe de l'« écart absolu » de Charles Fourier.
Certes, des recherches ultérieures seront nécessaires. D'autres aires géographiques notamment apparaissent en filigrane : des artistes disséminés un peu partout par l'exil, au Mexique, aux Antilles, dans les déserts et les jungles, auront une grande importance. Pierre Mabille, Benjamin Péret, Wolfgang Paalen, etc., sont des acteurs par procuration de la transformation du surréalisme. La distance qui les sépare des surréalistes résidant à New York n'empêche pas les échanges d'idées. C'est ce que révèle la correspondance qui lie les protagonistes, une correspondance importante à la fois par sa quantité et sa qualité. Les hommes s'écrivent et s'interrogent. Leurs lettres circulent presqu'exclusivement sur le continent américain et à destination de la Grande Bretagne. Les limites géographiques – les États-Unis en l'occurrence – définissant l'axe de recherche n'empêchent pas que l'on s'intéresse à ces sources extérieures (Mexique, Antilles), qui témoignent de la richesse du sujet.
L'année 1941 est une année charnière au cours de laquelle de nombreux surréalistes émigrent outre-Atlantique et où s'organisent les structures surréalistes clandestines en France occupée. André Breton et sa famille embarquent sur le Capitaine-Paul-Lemerle à Marseille (2), en compagnie de Claude Lévi-Strauss (3), Wifredo Lam et Victor Serge. Quelques jours après,c'est le départ d'André Masson à destination de la Martinique.
Le 16 mai 1941, Breton, Masson et Lam quittent la Martinique à bord du Presidente- Trujillo à destination de New York (4) où ils arrivent en juillet. Wifredo Lam, lui, a quitté le navire lors d'une escale à Saint-Domingue pour aller à Cuba, son île natale. Dès Août 1941 , on peut lire dans View, à New York, l'interview d'André Breton par Charles-Henri Ford.
Pierre Mabille, bien qu'ayant quitté Marseille dès le 28 septembre 1940 pour la Martinique via une escale par Casablanca, poursuit son voyage pour la Guadeloupe, puis Haïti où il arrive en juillet 1941 (5). Partent également pour les Etats-Unis Kurt et Arlette Seligmann (le 9 septembre 1939), suivis en octobre par Yves Tanguy et Roberto Matta, puis par Gordon Onslow-Ford et Stanley William Hayter en juin 1940.
Après avoir été emprisonné dans plusieurs camps de concentration en France, Max Ernst se retrouve à Lisbonne, d'où il s'envole pour New York en compagnie de sa future femme, Peggy Guggenheim, le 14 juillet 1941 (6).
En juillet 1941, Benjamin Péret et Remedios Varo arrivent à Mexico, venant de Casablanca, et s'installent dans une maison qu'ils partageront avec Leonora Carrington et Esteban Francès.
Enfin, Marcel Duchamp embarque sur l'un des derniers bateaux à avoir pu quitter Marseille, au printemps 1942, et arrive en juin à New York.

L'été 1941 est aussi, en négatif, le début d'une longue et contraignante clandestinité (7) pour de nombreux surréalistes qui n'ont pu bénéficier de l'obtention d'un visa par le comité américain de secours aux intellectuels français dirigé par Varian Fry (8), assisté de Daniel Bénédicte (9). En 1941, Hans Bellmer fait la connaissance de Marcelle Sutter, une Alsacienne de Colmar, qu'il épouse le 15 mai 1942. Leur relation est un échec (10), mais ce mariage lui permet néanmoins de survivre clandestinement et de résider à Castres jusqu'à la fin de la guerre (11).
Victor Brauner n'obtiendra jamais de visa. « Je souhaite que Brauner, écrit Pierre Mabille à Péret, ait pu s'échapper lors de l'arrivée des Allemands ; comme je vous l'avais câblé, il m'a été impossible d'avoir à temps son visa. Il serait lamentable qu'après avoir tant souffert ce pauvre trouve la mort dans un camp de concentration allemand (12). » Fin 1941 – début 1942, Victor Brauner trouve refuge aux Celliers-de-Rousset, puis à Espinasses, près de Gap, dans les Hautes-Alpes (13), dans un terrible isolement et une désolation totale (14). C'est néanmoins durant cette période qu'il expérimente le dessin à la bougie et la peinture à la cire.
Par ailleurs, au printemps 1941, les anciens des Réverbères rentrent à Paris et se réunissent. Parmi les participants, citons Noël Arnaud, Jean-François Chabrun, Gérard de Sède, Henri Bernard, Simone Bry, Jacques Bureau, Marc Patin, Aline Gagnaire, Olga Luchaire, Michel Tapié, Gérard Vulliamy, Jean Lucas. En mai, paraît dans l'anonymat le plus complet, une plaquette sous le titre La Main à plume. C'est le début d'une intense activité surréaliste sur les bases théoriques laissées par Breton avant son départ. Les plaquettes suivantes porteront d'autres titres afin de ne pas être assimilées à une publication périodique, soumise à censure (15).

À New York, les exilés doivent rapidement trouver les moyens de leur subsistance malgré les garants qui s'étaient engagés à les aider financièrement. Trouver un appartement, un travail, des repères, n'est pas une tâche facile alors que la ville accueille des milliers de réfugiés. Peggy Guggenheim offre un salaire de 200 dollars par mois à André Breton, qui conseille la jeune collectionneuse dans ses achats d'œuvres d'art.
Bien que cette collaboration avec Peggy Guggenheim soit de courte durée (André Breton sera speaker à l'O.W.I.), elle permet à de nombreux surréalistes de trouver un mécène et de constituer le fonds de l'exposition Art of this Century. Max Ernst sera pour un temps l'infortuné mari de la riche héritière tandis que Tanguy vivra aux côtés de Kay Sage. Les galeristes Pierre Matisse et Julien Levy joueront également un rôle capital pour la diffusion des œuvres surréalistes et permettront aux artistes de s'affranchir des contraintes matérielles.
C'est dans ce contexte particulier que les surréalistes, confrontés à de nouvelles stimulations artistiques, s'ouvrent à des enjeux mettant en ébullition tout un contexte historique et artistique. En 1942, André Breton entreprend – avec quelques difficultés – de reprendre la direction des « opérations surréalistes ». [fig. 1] Ce sursaut s'explique par plusieurs paramètres concomitants comme la publication d'une revue rivale mexicaine à destination du milieu new-yorkais, Dyn, ou la volonté de mettre en place une stratégie pour que le groupe ne se délite pas. La Seconde Guerre mondiale apparaît à bien des égards comme une image miroir de la Grande Guerre, nourrissant un sentiment d'échec et d'impuissance. Il semble impératif de montrer d'une part que le surréalisme n'a pas démérité dans sa volonté de changer le monde et, d'autre part, qu'il est à même de fournir les clés d'une révolution de l'esprit qui emmènera l'humanité sur les voies de l'harmonie, au sens fouriériste du terme.
L'exil est donc un moment de réflexion et de maturation des moyens d'actions en vue de se réapproprier un avenir plus serein. Les axes de recherches sont de plusieurs types. Il y a d'abord une réaffirmation des grands principes surréalistes comme la rencontre, l'amour, l'humour, l'automatisme. Il y a aussi la volonté de recourir à des procédés analogiques dans la création poétique et d'explorer les voies ésotériques qui ont le mérite de conserver leur pouvoir poétique grâce au cryptage et au secret. L'indianité se trouve également au cœur du dispositif, car elle donne une place privilégiée à l'oralité comme source d'émerveillement, et à la magie comme source de transformation du monde. Il y a enfin l'apport de Charles Fourier qui déstabilisera d'une façon définitive les formes systémiques, puisqu'il ne reconnaît comme système que celui de l'« écart absolu », qui se définit lui-même comme la contestation de tout système. À l'issue de la Seconde Guerre mondiale, une telle philosophie devait refleurir presque automatiquement sur les terres surréalistes, nourrissant sans relâche une révolution tournée vers l'avenir, l'indépendance et la liberté. De la même façon, le contexte américain, la culture et la littérature américaines, loin de rester en retrait d'une telle conception surréaliste du monde, portent un certain nombre de fruits qui, via la bande dessinée ou le fantastique, la poésie ou la peinture, repoussent les frontières du surréalisme. C'est Breton lui-même qui utilise cette expression paradoxale pour signifier que le surréalisme, vision du monde, ne se définit pas par des frontières clairement établies.
Cette mutation du surréalisme pose en outre la question des rapports qu'il va entretenir avec les réalismes et l'abstraction, l'art brut ou bien encore les primitivismes après 1945. Plutôt que d'adopter une position de repliement sur lui-même et de considérer les autres expressions comme rivales, il n'aura de cesse de s'approprier les nouveaux concepts dans un souci d'hégémonie et de stratégie. L'étude inédite du mur de l'atelier d'André Breton développée dans le dernier chapitre est sur ce point aussi démonstrative qu'un livre ouvert à destination du profane.
Quant à la date de 1965, qui constitue la seconde borne chronologique de l'ouvrage, elle trouve sa justification dans de multiples raisons, à commencer par l'hommage rendu (à la galerie L'Œil) au concept d'« écart absolu » de Charles Fourier. Ensuite, parce que l'influence qu'ont eu les mutations du surréalisme lors de l'exil s'est fait sentir jusqu'à la dernière Exposition internationale du surréalisme. Enfin, parce que c'est l'occasion d'interroger la peinture des années 1950 et 1960, et de montrer qu'elle n'a pu se développer que dans une relation étroite avec cette mythologie moderne élaborée au début des années 1940. L'exil des surréalistes aux États- Unis, loin d'annoncer la fin du surréalisme, correspond en réalité à un nouveau départ.


1. First Papers of Surrealism, exposition internationale du surréalisme, du 14 octobre 1942 au 7 novembre 1942, organisée sous le patronnage du Coordinating Council of French Relief Societies, Whitlaw Reid Mansion, New York, 1942.
2. André Breton embarque le 24 mars sur l'un des derniers bateaux de la Compagnie des transports maritimes à vapeur, au quatrième jour il fait escale à Oran puis à Nemours, le 31 mars, enfin, après une ultime escale à Casablanca au Maroc, le bateau traverse l'Atlantique et arrive à Fort-de-France le 24 avril 1941. Il existe deux catalogues d'exposition importants qui fournissent une chronologie sur les départs et voyages des surréalistes. Cependant, le nombre important des protagonistes a demandé d'avoir recours à de multiples sources et de croiser les informations afin d'établir au mieux les circonstances et les détails de l'exil. Voir Martica Sawin, Surrealism in Exile and the Beginning of the New York School, MIT Press, Cambridge, 1995 et Les Surréalistes en exil et les débuts de l'École de New York, musée de Strasbourg, Strasbourg, 2000.
3. Claude Lévi-Strauss décrit dans Tristes tropiques le voyage à bord du Capitaine Paul Lemerle. Lui-même partira pour San Juan à Puerto Rico à bord d'un bananier suédois et rejoindra New York un peu plus tard. Voir Claude Lévi-Strauss, Tristes tropiques (1955), Plon, Paris, 1984, p. 16-34.
4. Quinze jours après le départ de Fort-de-France, ils font escale à Pointe-à-Pitre où ils rencontrent Pierre Mabille, puis séjournent quelques jours à Saint-Domingue en République dominicaine, où Breton s'entretiendra avec E. F. Granell.
5. Sur les voyages de Pierre Mabille, voir Rémy Laville, Pierre Mabille : un compagnon du surréalisme, faculté des lettres et sciences humaines de l'université de Clermont-Ferrand-II, nouvelle série, fascicule n° 16, Clermont-Ferrand, 1983, p. 38-43.
6. Voir Dorothea Tanning, La Vie partagée, Christian Bourgois Éditeur, Paris, 2002, p. 135-142. et Les Surréalistes en exil et les débuts de l'École de New York. De Tanguy à Pollock, 12 mai-27 août 2000, musée d'Art moderne et contemporain, Strasbourg, 2000, p. 341.
7. Voir Laurence Bertrand Dorléac, L'Art de la défaite : 1940-1944, Seuil, Paris, 1993 et Laurence Bertrand Dorléac, « L'Art en France pendant l'Occupation : II : les artistes dans la tourmente », in Beaux-Arts magazine, n° 133, avril 1995, p. 98-107.
8. Varian Fry est arrêté par la police française en août 1943 et expulsé de France.
9. Sur cet épisode, voir Daniel Bénédicte, La Filière marseillaise : un chemin vers la liberté sous l'Occupation, avec une préface de David Rousset, Clancier-Guénaud, Paris, 1984. Varian Fry, La Liste noire, traduit de l'anglais par Edith Ochs, Plon, Paris, 1999 ; Varian Fry, Surrender on Demand (1945), avec une préface de Warren Christopher, Johnson Books, Boulder, 1997, p. 113-122 et Varian Fry, Du refuge à l'exil, actes du colloque du 19 mars 1999, Actes Sud, Marseille, 2000.
10. Lettre de Hans Bellmer à André Breton datée du 14 mai 1945 (Castres vers New York), BLJD, BRT.C.109. « Ma femme est l'incarnation de ce que vous tous vous considérez comme l'ennemi : la bassesse. Il me fallait être dans un état d'extrême décomposition pour arriver à cela. Voilà ma façon d'être victime de guerre. Je ne vois pas de solution. »
11. Voir Pierre Dourthe, Bellmer, Le Principe de perversion, Jean-Pierre Faur Éditeur, Paris, 1999, p. 114-118.
12. Lettre dactylographiée de Pierre Mabille à Benjamin Péret datée du 10 janvier 1943 (Pétionville, Haïti), BLJD, Ms. 34 678.
13. Voir Sarane Alexandrian, Victor Brauner, Oxus, Paris, 2004, p. 7 et 34.
14. Stéphanie Laudicina, « Victor Brauner, la création dans la guerre : lettres à Henriette et André Gomes, décembre 1942 – mai 1944 », in Bulletin de la Société de l'histoire de l'art français, Paris, 1996, p. 279-306.
15. Sur l'histoire du surréalisme sous l'Occupation, voir Michel Fauré, Histoire du surréalisme sous l'Occupation, La Table Ronde, Paris, 1982, Rééd. 2003, p. 53-113.
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