« Il semble à peine croyable que les talents musicaux d'Ursula Bogner soient restés inconnus jusqu'à présent.
C'est sur un vol à destination de Vilnius que j'ai rencontré Sebastian Bogner, le fils d'Ursula, qui m'a dit être en voyage d'affaires pour une entreprise pharmaceutique. La conversation a rapidement débouché sur le sujet de sa mère Ursula, qui "aimait aussi jouer avec des synthétiseurs", bien qu'à un niveau purement amateur et dans une salle de musique aménagée à cet effet dans la maison familiale. Au sein de son entourage, la musique était simplement considérée comme l'un de ses nombreux passe-temps excentriques et ne suscitait pas grand intérêt. A première vue, la vie d'Ursula Bogner semble simple et bourgeoise à souhait : pharmacienne, épouse et mère, installée dans une maison individuelle. Une existence qui rend son obsession pour la musique électronique d'autant plus étrange – une obsession qui l'a poussée à construire son propre studio pour enregistrer des expérimentations poussés.
Selon les repères chronologiques habituels, la biographie d'Ursula Bogner (1946-1994) apparaît donc conventionnelle. Née et élevée à Dortmund, elle déménage à Berlin à 19 ans pour étudier la pharmacie. Diplôme en poche, elle entre au service du géant pharmaceutique Schering, avant de se marier, d'avoir des enfants et de mener une carrière scientifique fructueuse, à défaut d'être extraordinaire, au sein de ce poids lourd multinational. Parallèlement, elle développe un vif intérêt pour la musique électronique. Au début de la vingtaine, elle suit les activités du Studio für elektronische Musik de Cologne, assiste aux séminaires du fondateur du Studio, Herbert Eimert, manifeste un grand enthousiasme pour la musique concrète et, plus tard, partage l'enthousiasme de ses enfants pour la pop new wave britannique. Pourtant, Ursula Bogner ne s'est jamais impliquée dans aucune scène, n'a jamais rendu sa musique publique. Mais elle a cultivé une curiosité sans bornes. Outre la composition, elle s'est également essayée à la peinture, à la gravure et a développé une fascination pour les recherches de Wilhelm Reich sur l'"énergie d'orgone", "énergie de la Vie" que le psychiatre et psychanalyste entendait concentrer et collecter à des fins thérapeutiques grâce à un appareil, une cabine de bois et de métal, connu sous le nom d'accumulateur d'Orgon. Inspirée par plusieurs voyages à Orgonon (Maine, Etats-Unis) – l'ancien lieu de travail et de résidence de Reich –, Ursula Bogner décide de construire son propre accumulateur et l'installe dans le jardin familial. Dès lors, l'attirance d'Ursula Bogner pour l'
ésotérisme devient évident et des montagnes de littérature New Age et d'ouvrages scientifiques marginaux jonchent la maison des Bogner. Ursula Bogner reste pourtant employée de Schering et donc fermement ancrée dans les sciences. Ses compositions, proches d'études et d'esquisses, ne trahissent que peu de signes d'ésotérisme et n'apparaissent liées à aucune école particulière, ni mystique ni scientifique. Il est étonamment difficile d'appréhender ou de classer son œuvre dans son ensemble. Pendant 20 ans, Ursula Bogner s'est essayée à de nombreux styles différents, ce qui a donné lieu à une grande richesse d'œuvres et à une variété déconcertante de titres. »
Jan Jelinek
Les rumeurs sur la possibilité d'un canular, liées à la biographie mystérieuse
d'Ursula Bogner et à la qualité exceptionnelle de ses productions, sont entretenues par le travail conceptuel que mène Jan Jelinek autour des notions de « post-fake » et d'authenticité.
