extrait
Emmanuelle Lequeux
(extrait, p. 42)
Toujours la sensation sans vertige d'un vide. Une force immanente mais
complètement invisible, qui agit comme un vortex sidérant : là, tout disparaît.
Dans les dessins d'Abdelkader Benchamma, cette attraction semble mener le
bal des éléments et les vampirise. A chacune de ses œuvres, une odeur de gouffre est
colonne vertébrale : ce stimulus magnétique qui parfois fait s'arrêter en un suspens, un
saisissement, les éléments pourtant fluides mis en scène, eau, terre ou nuage. Le vide
donne ses règles à cet univers autant, voire davantage, que les formes qui y valsent, qui lui
résistent tant bien que mal. Comme on parle des trous noirs, y aurait-il des trous blancs ?
Ce n'est pas le néant aux alentours des figures qui tonne mais bien celui en leur sein : il les
engendre, autant qu'il les phagocyte. Cet oublié de la création happe en premier le regard
et, sur l'environnement qui en prolifère, le force à se faire différent.
Souvent, il ne s'agit que du blanc de la page, pur de tout geste ; un espace laissé en réserve
par la précision de dentelle du stylo noir. Réserve, dit-on dans l'histoire de l'art : nul hasard
à cela. Réserve, c'est ce que l'on garde pour plus tard, le « par-devers soi » du dessin, cet « au
cas où » rédempteur : de là, tout pour surgir ; là, tout peut s'enfoncer. C'est la promesse
d'avenir, peut-être, que se permet chaque œuvre. Rester sur sa réserve, dit-on dans les dîners
mondains : ce que font précisément les images de l'artiste, en laissant s'engouffrer en elles
ce souffle qui les fait palpitantes, qui leur donne une drôle de respiration un brin haletante ;
qui compose, aussi, avec l'impression que tout pourrait imploser. Le moment juste après la
détonation, bien avant les dégâts : voilà ce que saisit Abdelkader Benchamma, que ce soit
dans ses paysages, ses silhouettes désemparées ou ses dérives quasi abstraites.
(...)