les presses du réel

Une galerie dans la villeRoger Pailhas

extrait
Jean Louis Maubant, Une Galerie dans la ville

Jamais, au fond, on ne devrait se risquer à écrire sur une personne chère, disparue toujours trop tôt pour elle, et, plus encore, pour les siens. La parole, elle, peut suggérer, sous-entendre ; l'intonation complète, et les regards, les mimiques, disent l'indicible. Mais l'écrit fige, renvoie aux limbes ce que les « intermittences du coeur » pourraient ajouter, nuancer, les sensations, les émotions, le quotidien.
Pourtant, il fallait ce livre, un livre d'honneur pourrait-on dire, construit comme un collage d'impressions, de souvenirs des uns et des autres qui revivent les moments géniaux et d'autres, plus mesurés. Un livre qui, d'évidence, ne prétend à nulle exhaustivité pas plus que l'exposition (1) qui l'a précédé. Comment rendre compte d'une vie, a fortiori, celle d'une telle personnalité, d'un tel personnage ? La seule ambition possible du livre consistait à restituer un peu de la vitalité de Roger Pailhas, sa complexité d'homme, la générosité de l'entrepreneur, sa passion d'amateur d'art et de vie, sa faconde et ses retenues, son entregent, ses colères et ses pudeurs, son esprit de conquête, son envie, surtout, d'extrême proximité avec la création et les créateurs de son temps.
Beaucoup témoignent ici, mais beaucoup manquent, faute de place, de temps, de relations distendues. Que nul n'y voie un quelconque ostracisme mais plutôt la simple impossibilité de témoigner, de manière vraiment complète, des rencontres d'une vie, fût-elle abrégée. Les uns et les autres, ici, ont tenté de rendre compte de tel ou tel aspect de l'ambition profonde de Roger Pailhas. Que tous, présents et absents, soient remerciés, tous ont compté pour lui, au gré du temps et des circonstances, des connivences.
Deux rencontres ont eu lieu, l'une à Marseille, l'autre à Paris, elles évoquent l'itinéraire d'un amateur d'art devenu galeriste, constructeur, plus méthodique qu'il n'y paraît, de son propre rêve. L'art était, en effet, pour Roger Pailhas, le territoire nécessaire, celui de la création, de la liberté, de l'imagination, de la vraie vie en somme. C'est cette ambition qui transparaît au fil des contributions. La pudeur, la discrétion des uns, la puissance verbale des autres semblent se faire l'écho du souvenir.
Et puisque nous souhaitions que ce livre transmette cette énergie vitale, il fallait absolument la présence des artistes, ceux qui animaient la vie de Roger Pailhas, qui lui donnaient le goût de combats sans fin, amusés et subtils. En cela, il ne s'agissait de rien d'autre que de conserver le sens d'une vie, le pétillement. Hélas, encore une fois, tous ne pouvaient pas être invités de ces pages, il eut fallu plusieurs volumes. On voudra bien imaginer, à la lecture de l'histoire des expositions réalisées par l'Arca et les galeries Roger Pailhas, ce que pourrait être un livre d'art retraçant le passage du siècle, d'Albers à Jeff Wall
Voici donc un livre impossible, pointilliste, amical et c'est, au fond, mieux ainsi. Roger Pailhas est de ceux qui ne disparaissent jamais vraiment puisqu'ils ont initié des pistes nouvelles, entamé des réflexions que d'autres ont relayé, perturbé l'ordre convenu et donc, « fait date ». Ni biographie, ni livre d'hommages obligés, le livre mêle donc une histoire, une ambition, et un parcours dans l'art.


1. L'art d'une vie, exposition organisée par le musée d'art contemporain de Marseille en décembre 2006 (commissariat Jean Louis Maubant)


 haut de page