Bimot a déjà fait l'objet d'une publication en 1990, aux Éditeurs Évidant. Par l'intermédiaire de cette publication, Julien Blaine ouvrait le chantier des bimots. Malheureusement ce livre, considéré comme l'un des plus aboutis de l'auteur, et comme l'un des gestes poétiques les plus importants de l'histoire de la poésie d'avant-garde du XXe siècle (au même titre que le
Coup de dés… de Mallarmé, des
calligrammes d'
Apollinaire, des poèmes à danser et à crier d'Albert-Birot, ou encore des premiers poèmes concrets des années 50) eut une courte vie : en effet, suite au dépôt de bilan et à la liquidation de l'éditeur, le stock de livres fut pilonné.
L'histoire avortée de ce livre n'a pas empêché Julien Blaine de continuer son travail sur les bimots. Le résultat se trouve dans ce livre : non seulement il y a une centaines de pages supplémentaires, mais un grand nombre de poèmes de la première édition ont été réécrits, toujours dans une même volonté de plus de justesse, plus de précision, plus de rigueur. Si l'édition de 1990 peut être considérée comme l'ouverture d'un chantier, celle-ci peut en signifier la fin.
Le livre est postfacé par Isabelle Maunet-Salliet :
« La poésie de
Bimot propose d'expérimenter ce qui est à l'origine même de la pensée et du geste poétique, dans ce qu'ils ont à la fois de plus simple et de plus manifeste : que ce passe-t-il, à la fois d'évident et de complexe, entre deux mots ? La poésie minimaliste de
Bimot, réitérant le refus de l'emphase et de l'inflation métaphorique, est précisément affaire de montage rigoureux, d'assemblage, de confrontation entre “au moins deux” éléments verbaux, séparés par un double filet latéral, et inscrits, pour l'un, en times maigre, pour l'autre, en univers demi gras majuscule. Le lecteur est confronté à “un rébus dont il ne faut pas chercher le décryptage”, précise Julien Blaine. Les bimots sont dénués de sens second ou de “dessous”, comme les choses du monde qui s'offrent à la perception. Il revient donc au lecteur de multiplier les connexions et combinaisons ou, plus largement, de dégager les effets de tension qui constituent l'énergétique de l'espace singulier des bimots, ouvrant un nouvel espace/temps “où veille encore l'énigme” (J. B.), une tierce dimension tissée d'enchaînements et de ruptures. »
Dès le début des années 1960, Julien Blaine (né en 1942 à Rognac, vit et travaille à Marseille) propose une
poésie sémiotique qui, au-delà du mot et de la lettre, se construit à partir de signes de toutes natures. Forcément multiple, il se situe à la fois dans une lignée post-
concrète (par son travail de multiplication des champs sémantiques, en faisant se côtoyer dans un même espace des signes – textuels, visuels, objectals – d'horizons différents) et post-
Fluxus (dans cette attitude d'une poésie comportementale, où est expérimentée à chaque instant la poésie comme partie intégrante du vécu). Mais avant tout, la poésie s'expérimente physiquement : elle est, d'évidence,
performative. Ses performances sont nombreuses, qui parfois le mettent physiquement en péril (
Chute, en 1983, où il se jette du haut des escaliers de la gare Saint-Charles à Marseille : violence de cette dégringolade incontrôlable, et la réception, brutale, au sol, quelques centaines de marches plus bas… puis Julien Blaine met son doigt sur la bouche et, sous l'œil d'une caméra complice cachée parmi les badauds médusés, murmure : « chuuuuut ! »). Mise en danger du corps, et mise en danger du poète, qui toujours oscille entre grotesque et tragique, dans une posture des plus fragile, car « le poète aujourd'hui est ridicule ». Performances, livres, affiches, disques, tract, mail-art, objets, films, revues, journaux… sa production est multiple, mêlant éphémère et durable, friable et solide. Pas un outil, un médium qui ne lui échappe. Mais rien qui ne soit achevé, arrêté. Car pour Julien Blaine la poésie est élémentaire, tout ce qu'il produit est fragment, indice d'un travail toujours en cours, document d'un chantier poétique à chaque instant renouvelé. Tous ces « résidus » doivent être lus en soi et en regard de ce qui nous entoure.
Blaine fut le cofondateur de
Libération avec ses amis de l'
Agence de Presse Libération et de
Géranonymo, directeur de
l'Autre-Journal avec son ami Michel Butel, fondateur de
Doc(k)s, la revue internationale des poésie d'avant-gardes.
Sous son patronyme Christian Poitevin, il fut adjoint à la culture à Marseille de 1989 à 1995.
Et sous le nom de Jules Van, il procéda à l'art du boycott, du vol, de la perruque et du sabotage ici & là.