les presses du réel

The Drawing CentreHe tried to swallow the world – and other drawings 2008-2019

extrait
À dessin
Franck Gautherot


Le dessin de lignes noires sur une surface blanche a constitué pendant de nombreuses années une des pratiques de Michael Scott. Différents protocoles ont été élaborés pour la réalisation des peintures : épaississement des lignes de 1% pour une série de 39 tableaux, par exemple. La confusion optique, l'obsession manuelle d'une perfection impossible bornent un des aspects de l'art de l'artiste.
Le dessin sur feuille libre à l'encre a pris de l'importance depuis 2007, à tel point qu'il m'a semblé impératif d'en rassembler une bonne centaine dans un livre qui inaugure la collection « The Drawing Centre », édité selon des intuitions visuelles et de motifs qui, soit se confortent l'un l'autre, soit divergent ostensiblement. Le corpus, proposé ci-après, livre une bonne impression – la maîtrise d'une technique, la justesse et l'équilibre de la facture au service de contenus mêlent la réinterprétation d'œuvres d'artistes proches de Scott ou de chefs-d'œuvre de l'art contemporain à des improvisations thématiques où la plomberie, l'architecture et quelques personnages mal identifiés se disputent les pages de l'ouvrage.
Le dessin est la petite chose que l'on s'est acharné à éviter pendant des décennies, radiant de nos archives les embarrassants carnets de croquis, journaux colorés et notes informes qui déforment des blocs de papier vierge qui n'en demandaient pas tant.
La grâce de l'art n'épargne personne et les plus coriaces des sceptiques, un jour, en appellent à la prière, aux rituels et aux chants de cantiques. Le dessin tout comme. La soudaine envie d'user de la chose imprimée comme d'un réceptacle de commandes de dessins aux artistes de nos goûts se réalise ainsi par cette première livraison consacrée à Michael Scott.
Né en 1958, connu pour ses tableaux noir et blanc – mal aux yeux –, puis pour ses tableaux colorés – mal aux yeux, mais sous acide –, puis pour ses variations de cercles concentriques, puis pour ses incursions dans le dessin peint à la Peter Saul (pour faire rapide), puis pour ses retours incessants vers tout ce qui précède, Michael Scott a cultivé un petit jardin secret – diraient les préfaciers délicats – de dessinateur impénitent. Compulsif, littéral, direct, immédiat, sombre, farceur à la Max Linder, le dessin de Scott est bien plus qu'une annexe de la peinture quand il prend en compte une histoire personnelle de l'art contemporain moulinée à l'aune de ses propres obsessions. S'arrogeant le droit de croquer des œuvres de ses proches – “mistretched canvas” de Steven Parrino, cercle noir d'Olivier Mosset, chaise en fer à béton de Franz West, slogans muraux de Jessica Diamond, volumes en isorel d'Imi Knoebel, panier garni de Cady Noland et ainsi de suite jusqu'au chapeau de William Burroughs au mur de sa chambre dans le Bunker de feu John Giorno – il ne fait figure ni de collectionneur d'images impénitent, ni d'étudiant attardé travaillant sur le motif dans des cahiers d'études. Le paysage dessiné est vallonné, peuplé d'arbres et d'échelles, de murs bloquant l'espace perspectif, de tuyauteries «gustonisées»et de lavis abstraits.
Il déroule les heures de recueillement, les longues sessions improvisées sur la feuille blanche, les pénibles allers-retours du pinceau fin à l'encrier, les rapidités de pensées et les écarts aux choses du commun. Scott a pensé le dessin avec la rigueur qui le caractérise et s'est, malgré tout ménagé des plages de totale liberté et de sponanéité graphique que sa peinture de lignes – mal aux yeux – ne lui permettait plus.


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