les presses du réel

Une saison graphique 13

extrait
Pierre-Yves Cachard
(p. 99-100)


L'exposition du design graphique contemporain rencontre parfois des réticences au sein même de la discipline, réserves ou questionnements qui semblent absents des autres arts appliqués. Cette hésitation à s'exposer s'exprime notamment à deux niveaux, évoqués par Jean-François Lyotard pour le catalogue de l'exposition (paradoxe) Vive les graphistes en 1990 (1).
L'installation dans des espaces d'exposition d'œuvres conçues pour des espaces publics serait une transgression ou une trahison de la nature même du design graphique. Mais cette pratique artistique ne s'arrête pas au support de l'affiche et à des problématiques de communication visuelle. Il faut envisager la discipline plus largement comme un travail d'architecture appliqué à des informations qui se manifeste sur des supports divers (papier, interfaces numériques, packaging, images fixes ou animées, textiles, etc.) ou s'incarne dans des formes et des textures variées. La plasticité et la nature tactile des objets graphiques, la texture des surfaces imprimées, la forme tangible des œuvres, si elle contribue toujours à la réussite d'un projet graphique, est souvent masquée, oblitérée, par le caractère utilitaire de la commande. Hors de son contexte de production, le public peut porter un autre regard sur l'œuvre et s'attacher aux règles de composition comme aux aspects plastiques véhiculés ou plus généralement à la psychologie de la forme. En situation, l'objet arrête au mieux le regard et diffuse au moins le message. En exposition, le message se dilue, et l'œil se déporte sur la matérialité et le toucher de cet objet, sur le processus de la perception, qui peut être vu non comme une juxtaposition d'ensembles structurés mais une unité formelle dynamique  qui aboutit à la « bonne forme », une image juste du projet construite par la somme de ses qualités formelles.
L'incapacité à restituer le contexte espace/temps de la commande constituerait une impossibilité pour le public d'accéder à l'ensemble des paramètres de l'œuvre qui lui est présentée. Mais que cette œuvre s'inscrive dans le registre de la communication visuelle ou soit plus largement un traitement formel de l'information, pour reprendre la définition générique proposée par Annick Lantenois, elle porte en elle une esthétique qui est le produit de son auteur, et son intention dépasse dès l'origine le contexte du projet, parce qu'il s'agit d'une production artistique. Le design graphique est un procédé de fabrication, partant d'une pensée visuelle et intégrant dans sa conception les possibilités offertes par les différentes techniques de reproduction à disposition. La perte de contexte et l'insertion des œuvres dans des architectures muséales, détournées ou occupées permettent en réalité au public de l'exposition d'accéder aux différentes dimensions sensibles des œuvres, que masque le plus souvent la commande, en ce qu'elle considère prioritairement l'objet graphique comme un outil de travail, ce qu'il est effectivement, mais pas uniquement.


1 « Vous pouvez bien sûr l'archiver, le recueillir et l'exposer, ce que nous faisons ici. Vous en suspendez ainsi certaines des finalités que nous avons désignées : persuader, témoigner. Vous ne gardez que plaire qui excède la circonstance. Vous en faites une œuvre. Mais vous trompez et vous vous trompez. L'objet graphique est de circonstance, essentiellement. Inséparable de l'événement qu'il promeut, donc du lieu, du moment, du public où la chose arrive ». In : Vive les graphistes : petit inventaire du graphisme français. Paris : Syndicat national des graphistes, 1990, p. 9.
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