les presses du réel

Surface de réparation

extrait
Entre 2008 et 2009, dans la perspective de la Coupe du monde, je me suis intéressée à la pratique du football amateur, tel qu'il existe au quotidien, dans des conditions parfois ingrates compensées par un enthousiasme inaltérable, aussi bien en France qu'en Afrique du Sud. De cette démarche ont résulté des images sciemment décalées, où la réalité sportive du terrain servait avant tout à mettre en lumière une approche sociale quasi anthropologique.
La clameur des stades tue, après le Mondial, je me suis aperçue que, malgré un léger reflux médiatique et les vilains échos relayant les dérives d'un sport hégémonique abonné aux turpitudes – cascade de fric, de scandales, de trahisons… – la passion intrinsèque liée au football ne fléchissait pas chez ceux qui le pratiquaient d'une façon totalement désintéressée.
C'est au cours d'un voyage en Israël, où était organisée une exposition de mon travail en France et en Afrique du Sud, que l'envie est venue de prolonger cette enquête artistique. La Fondation d'Art Oxylane a rapidement rendu la réalisation de ce projet possible.
Depuis maintenant plusieurs décennies, on entend parler presque tous les jours de la Palestine dans l'actualité. Mais il n'échappe à personne que ce territoire meurtri, plus sensible à bien des égards que certaines zones tectoniques, n'alimente guère la chronique sportive. Joue-t-on seulement en Palestine ? Oui ! Et à quoi ? Eh bien au football, comme partout ailleurs. Au détail près que si les règles ne diffèrent pas, le reste, tout le reste, ne peut fatalement que subir l'influence d'un contexte aussi particulier.
Ballotée par un destin tragique et toujours sous occupation militaire, la Palestine n'existe pas comme nation acceptée et reconnue. Du moins pas encore. Mais à force d'obstination, d'enthousiasme, les habitants de cette terre « trois fois sainte », posent les jalons d'une nation en devenir. Après la résistance active, au prix de sacrifices de part et d'autre, souvent inhumains, c'est un autre projet qui se met en place : celui d'un peuple, jeune et conscient de ses droits, fort d'une confiance renouvelée en l'avenir. L'engouement pour le ballon rond participe de cette dynamique, déclinée sous toutes les formes et dans les lieux les plus improbables. Vaille que vaille, il existe un football professionnel, même si, perdu dans les profondeurs du classement international, ses espoirs de renommée demeurent purement théoriques.
Mais par-delà cette modeste vitrine, j'ai aussi observé et suivi des jeunes filles jouant en short et cheveux au vent, des grappes d'enfants à la recherche d'un ballon égaré dans les taillis, des images sportives tagguées sur les murs, un Premier ministre faisant de l'exercice sur un gazon synthétique ou des graines de tournesols et de lupins jonchant les travées, le tout au gré de rencontres, je l'espère, empreintes de tolérance et d'humanité…
Au sortir de deux intifadas, la Palestine compte 19 000 licenciés pour 4,1 millions d'habitants. Jibril Rajoub, le président de la fédération de football – et accessoirement ancien responsable de la sécurité de Yasser Arafat –, affirme, à mi-chemin entre volontarisme et méthode Coué : « Aujourd'hui, l'arme du peuple palestinien doit être le sport. Une activité qui ne connaît ni frontière, ni racisme. » Puisse la réalité lui donner raison. Ce serait alors une belle victoire. Pour la terre entière.

Amélie Debray


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