les presses du réel

L'architecture contemporaine sur la Côte d'Azur

extrait
L'architecture contemporaine sur la côte d'azur (1945-1980)
Jean-Lucien Bonillo
(extrait, p. 10-11)


Les quelques édifices et ensembles qui ont été ici retenus pour illustrer la période dite des « Trente Glorieuses », en référence à l'ouvrage fameux de l'économiste et sociologue Jean Fourastié (1), ne constituent pas un échantillon qui se veut représentatif de l'ensemble de la production de la période. Il s'agit d'une sélection de type patrimonial qui prend en compte d'une part des édifices déjà labellisés « patrimoine du XXe siècle » par l'institution des monuments historiques (2), et d'autre part des bâtiments recensés et documentés il y a peu, dans le cadre d'un travail de Pré-inventaire du patrimoine architectural des « Trente Glorieuses » (3). Cette enquête a débouché sur une liste d'une centaine d'édifices, c'est donc une sélection de la sélection que nous présentons ci-après, sous la forme de notices plus ou moins développées. Les acquis plus que lacunaires de l'historiographie sur l'urbanisation et l'urbanisme de la deuxième moitié du XXe siècle dans les Alpes-Maritimes ne nous permettent pas d'esquisser une synthèse qui aurait pour objectif de resituer le cadre global dans lequel les opérations que nous présentons ont été conduites (4). Ce qui apparaît par contre avec force, c'est la diversité des registres d'écriture, des démarches et des expérimentations techniques. Cette diversité qui a déjà été bien établie pour le monde des arts plastiques est aussi présente dans le champ de l'architecture. C'est elle que notre propos introductif se propose de commenter et illustrer, en considérant que cette diversité ne renvoie pas simplement au large éventail des programmes abordés, aux réalités géographiques qui distinguent la bande littorale d'un arrière pays montagneux, à l'univers des vacances comme contrepoint ici très présent des espaces quotidiens, mais également et peut-être surtout à une floraison sans équivalent de courants d'idées et de sensibilités.

Les trois décennies qui suivent la deuxième guerre mondiale voient se succéder et se côtoyer les opérations urbaines menées dans le cadre juridique spécifique de la Reconstruction, le fonctionnalisme réducteur des cités de logement social auxquelles succèdent les procédures opérationnelles dites de ZUP et de ZAC (5), l'efficacité violente des mégastructures autoroutières et des voies rapides de transit, la richesse formelle des programmes d'équipements nourrie par l'expérimentation technologique, la poursuite du renouveau de l'Art sacré, les cités de vacances ou s'expriment les utopies d'une vie communautaire et heureuse au contact de la nature, les registres divers des logements collectifs et individuels…

L'optimisme résolu de cette période inédite de croissance portée par la poussée démographique, l'extension urbaine, le développement technologique et le consumérisme, favorise la modernité architecturale, alors même que les thèses de l'urbanisme fonctionnaliste deviennent une doctrine d'état. La critique précoce, dès le milieu des années 1950, des formes libérales et étatiques de l'urbanisation capitaliste provoque mouvements de contestation et de contre-culture qui trouvent un exutoire dans des architectures alternatives et des utopies urbaines débridées. Poursuites à l'identique, renouvellements et actualisations, inventions de nouvelles sensibilités esthétiques en phase avec les nouvelles visions politiques et sociales – et aussi celles des arts plastiques –, sont donc à l'origine de cette diversité qu'il nous faut maintenant décliner. Nous le ferons en distinguant trois sillons ou lignes de force :

La première concerne la poursuite et l'actualisation du projet des Avant-gardes et de celui rationaliste des années 1920. Une quête portée par le Mouvement moderne international et liée à la référence au monde de la machine et de l'industrie, à son esthétique puriste, ses supposées performances et sa logique de grande série.

La deuxième a trait à toutes formes par lesquelles la référence à la tradition et à l'histoire se manifeste dans la production architecturale. On peut d'abord évoquer les mythes qui ont permis de contrebalancer le sillon positiviste tracé depuis l'invention du métier, au moment Renaissant. Cette volonté moderne de coupure et de retour aux sources si bien exprimée par la formule de Fernand Léger : « Entre Giotto et nous, il n'y a rien. » Dans les espaces de fondation de la modernité prennent place l'esthétique archaïque des mondes dits primitifs, mais aussi l'architecture vernaculaire anonyme et répétitive, non-codifiée par les académies. À l'unisson de la sociologie et du structuralisme, les architectes seront dans l'après-guerre tentés par un retour à l'humain qui favorise le culturalisme et les identités. La reprise et la ré-interprétation des matériaux, procédés et dispositifs de la tradition locale se fera avec plus ou moins de profondeur et de légitimité sociale, dans un large éventail de postures qui traversent les champs du modernisme, du néo-régionalisme et du néo-réalisme.

La troisième témoigne des propositions véritablement nouvelles et alternatives portées par les utopies socio-spatiales de la période des « Trente Glorieuses ». Celles, d'une part, attentives à poursuivre sous les formes les plus audacieuses le rêve technologique et les visions des avant-gardes. Celles, d'autre part, inscrites dans la contre-culture, ancrées dans la critique de la société libérale et de consommation et qui prônent indistinctement : la convivialité retrouvée, la mobilité assurée, la « dérive » contrôlée (situationnisme), la symbiose avec la nature, la participation des habitants à la réalisation de leur cadre de vie…

(...)


1. Jean Fourastié, Les Trente Glorieuses, Fayard, Paris, 1979.
2. www.paca.culture.gouv.fr/dossiers/xxeme_label/label.htm
3. Pré-inventaire du patrimoine architectural des Trente Glorieuses dans les Alpes-maritimes. Réalisée entre 2005 et 2008 par Jean-Lucien Bonillo et Raffaella Telese avec la collaboration d'Eve Roy, pour le compte de la DRAC de Provence-Alpes-Côte d'Azur et le conseil général des Alpes-Maritimes, cette étude comporte quatre « volumes » : 1. Synthèse, 2. Recensement des articles publiés dans la presse professionnelle, 3. Fiches synthétiques, 4. Dossiers approfondis (au nombre de 15). Laboratoire INAMA-ENSA. Marseille. Ces éléments sont consultables sur le site internet de la DRAC Paca.
4. Le volume 1 de l'étude précitée (note 3) développe cependant quelques idées très synthétiques sur l'urbanisme et l'aménagement du territoire, la Reconstruction, le programme domestique et les équipements publics et privés.
5. Zones à urbaniser en priorité (ZUP) et zones d'aménagement concerté (ZAC).
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