les presses du réel

Doué pour la peintureConversations avec Jean-Paul Jungo

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Préface, pp. 7-8 (©Mamco)

Au début des années 1970, la Kunsthalle de Berne était, pour un jeune collectionneur, un lieu mythique où Harald Szeemann venait de monter son exposition manifeste « Quand les attitudes deviennent forme». Avec l'arrivée à la tête de l'institution de Johannes Gachnang, en 1974, le public suisse découvrira la majeure partie de l'avant-garde allemande avec Baselitz, Penck, Lüpertz, Immendorf, Kiefer, mais aussi l'arte povera italien avec Fabro, Kounellis, Merz, Paolini, ainsi que de surprenants marginaux comme Marcel Broodthaers, Bill Copley, Günter Brus ou Pierre Klossowski. C'est à l'occasion de l'exposition de ce dernier, à laquelle m'avait associé Gachnang, que je fais la connaissance de Rémy Zaugg dont l'oeuvre avait été présentée dans les mêmes lieux quelques mois plus tôt, et qui réalisera un magistral entretien avec Klossowski, pour moi un modèle du genre.
Quelques années plus tard, en 1992, Ulrich Loock, nouveau directeur, présente un jeune peintre belge alors inconnu du public, Luc Tuymans. Le champ de l'art contemporain s'était depuis quelques années singulièrement élargi par de nouvelles pratiques comme la photographie, la vidéo ou les installations. Mais, à regarder ses oeuvres sur les murs de la Kunsthalle, tout me porte à croire que la peinture a encore de belles heures à vivre!
Par la nouveauté des sujets traités, l'audace de la mise en place des plans et des espaces, la surprenante palette utilisée, tout étonne et interpelle dans ces toiles. Je me rends à Anvers où l'artiste veut bien m'ouvrir la porte de son petit atelier au troisième étage d'un immeuble vétuste. C'est là que je peux contempler l'ensemble des peintures qu'il vient d'achever et qu'il présentera sous le titre Der Diagnostische Blick. Tuymans utilise les planches d'un ouvrage de médecine pour réaliser une série de portraits où il évacue la simple expression de la personne représentée au profit d'une nouvelle image bien plus fortement codée où c'est la maladie elle-même qui est peinte. L'ensemble de l'oeuvre sera ensuite marqué de thèmes ou de significations précis que l'artiste transgressera en éliminant le sujet principal et en ne laissant apparaître que des traces, des indices ou ce qu'il nomme lui-même des symptômes.
À plusieurs reprises je retournerai à Anvers. Après les visites de l'atelier, les journées en compagnie de Tuymans se poursuivent souvent très tard dans les cafés ou les bars dans d'interminables discussions, souvent fort arrosées, qui nous permettent de constater que, si parfois nos goûts divergent, notre intérêt pour la peinture passée ou récente, notre commune passion pour le cinéma nous rapprochent.
Tuymans revendique une filiation directe avec la grande époque de la peinture primitive flamande, particulièrement avec Jan Van Eyck dont il se déclare l'héritier. Un jeune artiste qui peut affirmer avec culot «Je sais peindre» ou « Je montrerai aux Américains que la peinture existe toujours en Europe» ne pouvait me laisser indifférent. Dans les conversations qui suivent on retrouvera à la fois la passion de Tuymans pour la politique, la littérature ou le cinéma, ses opinions parfois surprenantes sur les maîtres anciens ou la peinture contemporaine et surtout ses remarques personnelles sur sa carrière et sur sa propre activité de plasticien. Elles devraient ainsi permettre au public de langue française une meilleure approche de l'un des peintres les plus novateurs et les plus originaux de notre époque.
Ces conversations se sont déroulées en deux séquences en mai et en décembre 2003 dans l'appartement de Luc Tuymans et de sa femme, l'artiste Carla Arocha, que je remercie pour leur accueil chaleureux. Mes remerciements vont également à Samuel Gross qui a bien voulu transcrire l'intégralité de nos enregistrements, ainsi qu'à Marie-Claude Schoendorff, l'amicale et indispensable correctrice.
Jean-Paul Jungo
Avril 2006
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