les presses du réel

L'homme le plus doué du monde

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Je suis redevable des faits relatés ci-dessous à mon ami Fisher, de New York, qui arriva à Baden un jour après Ignatieff, et qui fut présenté en bonne et due forme sur la Liste officielle des étrangers sous le titre de “Herr Doctor Professor Fischer, mit Frau Gattin und Bed. Nordamerika.”
La rareté des titres au sein de l'élite voyageuse d'Amérique du nord est un vrai casse-tête pour la personne avisée qui s'occupe d'établir la Liste officielle. Sa fierté professionnelle tout autant que son sens de l'hospitalité la poussent à pallier cette carence chaque fois que cela est possible. Elle distribue ainsi du “gouverneur”, du “major-général” et du “docteur professeur” avec une assez grande impartialité, selon que les nouveaux arrivants arborent un air distingué, martial ou studieux. Fisher dut son titre à ses lunettes.
La saison démarrait à peine. Le théâtre n'avait pas encore ouvert. Les hôtels n'étaient même pas à moitié pleins. Les concerts du kiosque de la Conversationshaus se donnaient devant un public clairsemé et les boutiquiers du bazar n'avaient rien de mieux à faire que de se lamenter à longueur de temps sur le déclin de Baden Baden depuis qu'on y avait interdit le jeu. De rares randonneurs perturbaient les méditations du vieux gardien desséché de la tour sur le Mercuriusberg. Fisher trouva l'endroit vraiment stupide – aussi stupide que Saratoga en juin ou Long Branch en septembre. Il était impatient de se rendre en Suisse mais son épouse avait sympathisé avec une comtesse polonaise à la table d'hôtes et elle refusait absolument de faire le moindre geste qui pût interrompre une fréquentation si flatteuse.
Un après-midi, Fisher s'était arrêté sur l'un des petits ponts qui enjambent la rivière Oosbach, qui n'est pas plus large qu'un caniveau, suivant paresseusement l'eau du regard et se demandant si une truite de Rangely, de bonne taille, aurait pu nager sans encombre dans ce courant, lorsqu'il vit le portier du Badischer Hof qui arrivait à sa rencontre en courant.



Extrait de la postface

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Mitchell, qui n'aurait sans doute pas pu imaginer l'utilisation de l'électricité comme source d'énergie pour cette machine pensante – on était encore loin de pouvoir fabriquer de circuits électriques miniature commutés par des lampes ou des transistors – a ici eu l'astucieuse idée de mélanger les ordinateurs de Babbage (qui auraient fonctionné, s'il avaient été achevés, à la vapeur) et la science de la mécanique horlogère. Une idée diablement steampunk, donc, ou même clockpunk.
La figure du “savant fou”, qui lâche dans le monde une créature dangereuse de son invention, n'est évidemment pas une nouveauté en 1879, plus d'un demi-siècle après la rédaction du Frankenstein de Mary Shelley, qui est le modèle du genre. C'est cependant dans les années suivantes, et notamment dans la foulée de la popularité de deux vrais savants, Thomas Edison et Nikola Tesla, que cet archétype s'est le mieux développé (Moriarty, Dr Moreau, Rotwang, Mabuse, Caligari, Cornélius, etc.). Il faut dire qu'à la fin du XIXe siècle, la science triomphante fait des bonds de géant et semble capable de tout – et nous devons bien admettre que presque toute notre technologie actuelle repose peu ou prou sur des inventions et des observations qui datent de la première moitié du XIXe siècle.
Le cyborg, symbiose d'un être vivant et d'éléments artificiels, est essentiellement une invention de la Guerre froide. L'idée que l'on puisse associer un cerveau mécanique à un organisme de chair et d'os semble incroyablement moderne et, est sans doute, sans précédent comparable dans la littérature. Ce qui est ajouté ou modifié dans le corps de Stépan Borovich n'est pas une prothèse articulée quelconque, mais un cerveau : nous ne sommes plus dans le Steampunk mais presque dans le registre Cyberpunk.


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