les presses du réel
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Entretien.
Dialogue sous une palme entre Gilles Perraudin et Valéry Didelon
(extrait, p. 112-113)


(...)

Ce qui caractérise par ailleurs ton travail, c'est un rapport tout à fait particulier avec la forme. Tu t'y intéresses, mais tu t'en méfies aussi un peu, n'est-ce pas ?

Notre production s'incarne, elle prend forme. Pour autant, la forme n'est pas première dans notre démarche, elle est pour nous un point d'arrivée et non un point de départ. Prenons l'exemple de la maison réalisée récemment au cœur de la Croix‑Rousse à Lyon. Le site était terriblement contraignant : un terrain étroit, des prospects limitants, un accès difficile, une zone constructible réduite, etc. Nous avons disposé les espaces de services perpendiculairement à la façade. Ils séparent aujourd'hui les espaces de vie qui apparaissent comme un vide entre deux masses bâties, un vide qui s'offre à la lumière. On pourrait comprendre la maison comme réponse au seul cahier des charges, alors que c'est une autre approche projectuelle qui a prévalu. Notre inspiration a puisé dans une topographie de grottes : failles, échappées, plongées, trouées, etc. Nous avons opposé une sorte de nature des origines à l'hyper-urbanité environnante. Nous avons lancé un cri de liberté – comme celui des canuts assassinés – face au carcan réglementaire qui s'imposait à nous. En définitive, la forme s'est révélée tout au long du projet.


Tu associes souvent le formalisme de l'architecture contemporaine à l'usage du béton armé. Peux-tu nous en dire un peu plus ?

Le béton a offert aux architectes une liberté formelle extraordinaire. L'œuvre de Le Corbusier en est un exemple manifeste. La force de ses compositions témoigne de son talent de plasticien. Comme beaucoup d'architectes, il aspirait par ailleurs à être reconnu comme un grand peintre, ce qu'il n'était pas ! Mais voilà, si le béton a libéré les architectes de certaines contraintes que l'on associe à la construction traditionnelle, il les a complètement rendus dépendants de la forme. Seul Louis Kahn par exemple a su s'imposer une discipline et ne pas devenir esclave de celle-ci.
En suivant nous-mêmes des règles très strictes qui nous laissent seulement le choix entre des pierres debout ou couchées, nous abordons la question de la forme d'une manière bien particulière. Ce qui est important c'est le rythme, les proportions, la lumière, la matière, l'ordonnancement. Les règles de la construction en pierre qui s'imposent à nous pourraient être comparées à celles que se sont donnés les membres de l'Oulipo*. D'une certaine manière, il s'agit de se libérer de la forme en en choisissant une dès le début. La forme architecturale n'est que l'incarnation d'un esprit dans la matière, elle ne peut être une fin en soi.


Dans plusieurs de tes propres projets récents, les édifices se fondent dans le paysage, ils n'apparaissent pas comme des objets dont on peut facilement saisir les contours. Faut-il y voir une sorte de contextualisme ?

Nous essayons toujours de mettre l'architecture en bonne intelligence avec son environnement. Pour atténuer le contraste climatique parfois abrupt entre les espaces intérieurs et extérieurs, nous entourons nos constructions de micro-enveloppes protectrices. Dans le projet de chai au Moyen-Orient que nous étudions en ce moment, les locaux dédiés à la vinification sont prévus en sous-sol, tandis que la réception, les bureaux de gestion, l'accueil se prolongent vers l'extérieur à travers des espaces intermédiaires où l'on trouve des pergolas, des jardins, des bassins, etc. L'alternance de volumes fermés et ouverts forme un continuum. L'architecture se fond dans le paysage. Notre travail qui se base en premier lieu sur l'expression constructive tend finalement à une relation harmonieuse avec l'environnement, comme dans une alliance entre les approches de Louis Kahn et de Frank Lloyd Wright. C'est ambitieux, n'est-ce pas ?


Et lorsque tu es engagé dans un projet en milieu urbain, comment se détachent les figures architecturales sur le fond de la ville ?

En fait, nous travaillons moins sur des projets en milieu urbain que sur des caves isolées en pleine nature. Il y a eu néanmoins le projet non réalisé du collège de Vauvert. Le parti pris était très fortement urbain. Le long d'une grande avenue, nous avons dessiné un îlot tout entier. Le bâtiment mesurait 200 mètres de long pour 60 mètres de large et était percé de larges cours qui assuraient la régulation thermique en captant le vent et le soleil. Au sens propre du terme, c'était comme construire un château en Espagne…
Dans la plupart de nos projets comparables, nous nous inscrivons dans une logique de composition urbaine classique. Les espaces extérieurs et intermédiaires sont souvent intégrés au bâti. En ville, le contexte c'est l'architecture existante dont nous essayons d'être respectueux. Notre projet d'immeuble de bureau à Voiron doit beaucoup à l'architecture du Dauphiné, à ses formes traditionnelles. Nous aimons travailler à partir de typologies telles que J.N.L. Durand a pu les définir. Par exemple, une école s'organise autour d'une cour. Nous délimitons clairement les espaces institutionnels et nous nous efforçons de suivre les règles architecturales et urbaines.

(...)


* NDÉ : Ouvroir de Littérature Potentielle, association fondée en 1960 dont les membres les plus célèbres sont Raymond Queneau et Georges Perec.
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