les presses du réel

Au Pied de la lettre

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Introduction
Des mots pour le dire
Judith Quentel
(p. 9-12)

Je désire avoir le contrôle de la présentation dans l'exposition, je désire aussi trouver chaque fois un moyen de présentation en accord avec mes idées politiques du moment. […] J'ai une idée de la présentation de l'art et je cherche un nouveau moyen de présentation chaque fois. Ce moyen de présentation relève de la mode, même s'il est une expression de la politique, une expression de la moralité. […] Mais la présentation n'est pas la pièce, n'est pas le travail. Je ne vends pas une pièce avec son installation.
Lawrence Weiner, entretien avec Jean-Marc Poinsot, in Beaux-arts Magazine, n° 65, février 1989, p. 34-35.

Après l'exposition foisonnante, intitulée “Légende”, curatée par Alexis Vaillant en 2008 (1), “Au pied de la lettre” s'est construite comme un retour volontaire à un certain matérialisme, à une relecture rationnelle de la postmodernité et de l'art dit néo- ou postconceptuel.
“Légende” a fait date dans l'histoire complexe de l'exposition grâce à des œuvres “qui testent l'artificialité du monde actuel en en offrant des visions intensifiées (2)”. Concurremment à cette perception de l'Histoire dictée par des événements (3) et doublée par l'impossibilité de traiter en temps réel les archives ou l'information tant elles abondent, l'exposition “Au pied de la lettre” a voulu objecter la réalité intangible du langage. Pour ce faire, elle s'est adossée à la permanence d'un lieu commun, lui-même vaguement corollaire des conditions matérielles de réception de l'art d'aujourd'hui, fondant l'opposition entre un supposé conceptualisme muet et donc ennuyeux, et un mode purement perceptif, de l'ordre de l'image et donc fatalement immédiat ou glamour (4). Dans ce contexte, malgré la difficulté et la nécessité de provoquer d'autres modalités de rencontre avec le public que celle de l'exposition, dans une situation où il convient de négocier en permanence avec la réalité physique et administrative alentour, la réponse des artistes s'est avérée irrésistible.
En décidant de placer l'exposition “sous le signe”' de Lawrence Weiner, il s'agit d'esquisser les contours d'une exposition où la littéralité réside dans l'indexation de l'image ou du sens produits par le texte, l'énoncé ou le discours. L'œuvre Right in the middle of … (collection Billarant, 1971), à la fois pivot et axe central de l'exposition, confirme l'extraordinaire actualité politique de ses assertions d'alors. Enfin, si l'interaction des champs de l'art et du langage n'est pas nouvelle, l'histoire de l'art a vu avec l'art conceptuel, comme dans l'immense espace qu'il a ouvert, une nouvelle exploitation du sens littéral du mot, lequel a abouti à sa transformation en objet.

(...)

Bien qu'il s'agisse d'une exposition collective, “Au pied de la lettre” permet de saisir des œuvres de façon autonome et d'aborder de façon quasi monographique des univers singuliers. Pour autant, à Chamarande, la conversation qu'engagent les œuvres entre elles ne peut-être dissociée du bruit de fond, de la rumeur qui sourd du lieu et du décor. Au sein des babillages propres à ce château fantasy émergent des pratiques qui, de fait, relèvent toujours d'une expérience multisensorielle. Avec “Au pied de la lettre”, les interférences entre ce qui produit un signe visuel ou perceptif et le signe verbal en tant que tel ont curieusement participé à l'écriture d'une sorte de métadiscours de l'exposition, caractéristique de l'endroit : comme dans une partition.


1. L'exposition était fondée sur un accrochage de “haïkus visuels” visant à “scénariser le réel” sur un mode fragmentaire plutôt que narratif afin de venir “perturber le réel, tuer les émotions et faire triompher l'imaginaire” (extrait de la note d'intention du commissaire). Elle comprenait une centaine d'oeuvres pour une cinquantaine d'artistes ayant peu ou jamais exposé en France.
2. Alexis Vaillant, loc. cit.
3. À l'instar des attentats du 11 septembre 2001, filmés en direct et avec de vrais meurtres.
4. Même si nous savons bien, comme le rappelle Catherine David, que “pour toutes les expressions artistiques il a toujours existé des constructions sociales, historiques ou communautaires ‘garantissant' l'adhésion à des formes et des significations” (L'Art contemporain et son exposition, Paris, L'Harmattan, 2001, p. 64).


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