les presses du réel

(SIC) n° 03 – Esthétiques de la situation

sommaire
Esthétiques de la situation : contenu, formes et limites
Sébastien Biset

Plus que jamais concernée par l'espace de l'agir social, la création contemporaine n'a eu de cesse, ces dernières décennies, de complexifier le rapport qu'elle entretient avec notre réalité. Générique mais symptomatique, la notion de situation apparait éclairante pour saisir dans ses enjeux certaines pratiques de l'art que caractérise un effacement partiel du dispositif au profit d'une esthétique de la situation (au-delà d'un art en situation ou de la seule mise en situation). Comprise dans son sens pragmatique, cette notion de situation est à même de nous aider à comprendre, pour une meilleure et plus juste appréciation, en quoi le caractère processuel des œuvres d'art importe autant voire davantage que la forme qu'il produit. Priment essentiellement, dès lors, son processus de constitution et à travers lui ses effets, c'est-à-dire le geste et ce qu'il permet, production de subjectivités et autres. À cette conscience pragmatiste répond la nécessité des artistes contemporains de réintégrer l'art au plus près du réel, qu'il en émane, même, au travers de pratiques et de gestes relevant du transitoire, de l'ordinaire, du processus et de l'événement. Ces pratiques diffèrent autant par leurs modes opératoires que par leur forme, et donc par leur efficience au sein du réel investi : leurs écueils et succès cernent les possibilités, limites et promesses de telles esthétiques.


L'art situé : quelques pratiques non-éthiques d'art actuel
Jean-Philippe Uzel

Depuis plus d'une décennie, l'esthétique relationnelle nous a habitués à l'invention de micro-situations au sein du contexte artistique, tout comme à la fictionnalisation d'institutions sociales. On s'accorde aujourd'hui sur le fait que la dimension critique du projet relationnel se limite à un rapprochement avec le réel, dans le cadre de ce que Rancière appelle une « communauté éthique » fondée sur le consensus et donc sur ce « qui évacue ce qui fait le cœur de la politique, soit le dissensus ». Telles sont les limites de ces formes relationnelles de l'esthétique de la situation qui, à force de jouer et rejouer le réel, en offrent une image totalement polie qui participe de l'ethos consensuel contemporain. À côté de ces pratiques éthiques, il existe aujourd'hui un « art situé », un art qui tout en s'étant affranchi de la posture polémique est fondamentalement non-éthique, et continue d'entretenir un lien privilégié avec la politique. Pourquoi dès lors parler d'art situé ? Parce que ces pratiques, à l'opposé des pratiques relationnelles qui jouent ou rejouent des situations inspirées de la réalité sociale en restant toujours à un niveau générique (l'entreprise, l'échange, la fête, etc.), s'élaborent à partir d'une situation réelle, ancrée dans l'actualité politique et sociale (créer un musée au cœur d'une banlieue : Musée Précaire Albinet, de Thomas Hirschhorn ; transformer une usine en espace public de discussion : 8 x 5 x 363 + 1, de Raphaëlle de Groot ; faire de Guantanamo un centre culturel : Guantanamo Initiative, de Christophe Büchel et Gianni Motti).


Le concept de situation dans le prisme d'un art pragmatique
Aline Caillet

Comprendre l'expérience esthétique au travers du paradigme d'un art en situation, de construction d'ambiance ou encore de jeu, à la croisée des chemins de l'héritage situationniste et de la performance d'obédience Fluxus, dont le propre est de construire des situations au cœur du réel, incline vers un art orienté vers l'expérience qu'il peut être à même de susciter. Sous bien des aspects, la pensée de John Dewey se révèle très féconde pour rendre compte, d'un point de vue analytique, de ce qui se joue dans ce type de pratiques artistiques, mais aussi pour en dégager les enjeux plus généraux, quant à la définition de l'expérience esthétique et à son statut – tout particulièrement sa spécificité par rapport aux expériences que l'on qualifiera « d'ordinaires ». Approcher le concept de situation dans le prisme d'un art pragmatique conduit à comprendre l'œuvre dans son interaction avec le contexte, une œuvre qui se définit dès lors dans et par le contexte, lequel, bien plus qu'un simple lieu d'ancrage, va donner sens et forme à l'œuvre. De telles pratiques offrent ainsi au « spectateur » l'occasion de développer une expérience qui va constituer l'œuvre, lui conférer sens, valeur et signification, en dehors de tout cadre conventionnel, normatif et institutionnel. L'idée d'un art en situation, par définition, se fait ainsi au détriment des qualités inhérentes du fait artistique en soi, elle avance l'hypothèse – pragmatiste – selon laquelle l'essence et la valeur de l'art ne résideraient pas dans les objets en tant que tels mais dans l'expérience dynamique et évolutive à travers laquelle ils sont façonnés et perçus.


L'œuvre en situation(s),
Dispositifs et métadispositifs de l'art contemporain

Jérome Glicenstein

Depuis les années 1920 et bien davantage depuis les années 1960, la problématique de l'inclusion du public dans les œuvres hante les questions artistiques. Cette idée prolonge le rejet avant-gardiste ou néo-avant-gardiste de la relation classique aux œuvres d'art ; relation fondée, dit-on, sur la « contemplation désintéressée », à une distance respectable, d'objets réputés sacrés. Rendre actif le spectateur, le faire participer au mouvement de l'art, permettrait de le rendre davantage responsable, tout en stimulant son esprit critique. Pourtant, le peu d'effectivité de la plupart des propositions artistiques censées placer le spectateur en position agissante devrait faire réfléchir : pourquoi les actions restent-t-elles limitées et pourquoi les réponses s'adressent-elles prioritairement à la sphère esthétique ? Ce texte ne cherche pas à contester la validité des propositions ou des dispositifs artistiques concernés. Il s'agit plutôt d'attirer l'attention sur un aspect constamment minoré dans les réflexions sur l'art contemporain : le fait que la diffusion de toute œuvre – quelles qu'en soient la constitution, les présupposés et les attentes – est assujettie à un ensemble de procédures de médiation (les « métadispositifs » de l'art). La relation à l'art est-elle pour autant condamnée à rester prisonnière des cadres convenus de l'exposition ou de la réflexion au sein des revues spécialisées ? Les propositions impliquant une action concrète, une relation directe d'inclusion et/ou de dialogue sont-elles nécessairement vouées à l'échec ?


Heuristique du non-événement
Thierry Davila

Parmi les recherches récentes qui ont exploré les procédures plastiques disparaissantes, discrètes, pratiquement sans épaisseur, le travail de Roman Ondák occupe une place de choix dans la mesure où, mieux que d'autres, il a su travailler à rendre presque inapparente l'opération d'insertion voire d'« infiltration » de ses dispositifs dans un contexte proposé. En ce sens, il se situe dans une histoire de l'invisibilité qui travaille dans des zones où l'imperceptible s'essaie à rejoindre le réel tel qu'il est, à disparaître dans l'état du monde. Et cela comme condition de l'exercice du regard lui-même, comme son paradigme. Le travail de Roman Ondák vise à inventer des variations qualitatives, phénoménologiques, sensationnelles, qui n'ajoutent ni ne retranchent rien à la somme physique des objets du monde mais qui n'en sont pas moins des productions à part entière, lesquelles diffusent des effets, leurs effets, en dehors des lois traditionnelles régissant le domaine économique des échanges, des relations matérielles, des épaisseurs quantifiables.


À l'affut de trouées : situations pour des paysages à réinventer
Luc Lévesque

Alors que la construction d'un rapport esthétique à l'environnement mène historiquement à la notion de paysage, et au moment où ce dernier concept s'avère de plus en plus employé comme référence paradigmatique pour penser l'intervention et le territoire urbain, quelles sont dans ce cadre les implications des dites esthétiques de la situation ? Si le concept de paysage fournit un cadre théorique pour aborder cette question, l'un des apports du champ esthétique associé à la notion de situation est sans doute de contribuer à ouvrir ce cadre en déstabilisant les paramètres dominants sur lesquels il a pris appui en Occident. De manière plus générale, cette déstabilisation pourrait être rattachée à l'émergence contemporaine d'une paysagéité de l'interstitiel témoignant d'attitudes sensibles et cognitives suggérant des voies alternatives pour qualifier, valoriser et activer les configurations territoriales qui nous entourent.


Between top and turning back, on se repose
Une intervention de Vaast Colson
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