les presses du réel

Avant la neige / Je suis une Mercedes 300SL / Mario

extrait
Mario (p. 100-162)

Mario adorait la pêche. Il était persuadé que la ligne était un cordon ombilical qui le rattacherait à la mer.

Un été, pris d'une cinéphilie fébrile, Mario décida d'aller voir tous les films d'Eric Rohmer. Pour Mario, les héroïnes d'Eric Rohmer étaient super réelles, bien plus réelles que les jeunes filles qu'il pouvait croiser dans la rue. Cette séance journalière lui procurait un véritable soulagement. Il regardait avec plaisir une jeune fille préparer un dîner, une autre sourire sur une plage à Dinard, une tâche sur un canapé. Mario en sortait médusé et remarqua que dans plusieurs des films les héroïnes portaient des Spring Court blanches. Se pouvait-il qu'Eric Rohmer eût la même fascination que Mario pour les Spring Court blanches immaculées?

Un jour, Mario décida de partir à Naples apprendre à faire la pizza. Il se dit que le fait de malaxer la pâte lui procurerait une sorte de sentiment de sérénité.

Mario ne buvait pas de Château Chasse-Spleen pour son nez intense et complexe, pour ses notes de cèdre, de bois toasté, de mûres… Non.

Mario aimait les lacs, adorait la montagne et chérissait l'ambiance un peu surannée des villes d'eau. Evian était pour Mario la ville cristalline par excellence. Sur un banc du parc de l'Hôtel Royal, il regarderait sur l'eau les reflets d'éclairs des orages d'été dans les montagnes, il boirait un grand verre de cette eau pure et délicieuse en écoutant au loin une douce musique classique. Il marcherait sur le bord du lac et croiserait une douce jeune fille. Elle aurait pour lui un sourire clair et minéral.
Mario tomberait amoureux, cela il en était sûr!

Le bain de Mario lui fluidifiait le sang et activait les méninges.

Blanche, immaculée, neuve. Mario avait choisi une Miele.

Mario avait pris l'habitude de vérifier la présence du nombril sur le ventre des jeunes filles. Il fallait bien qu'il apprenne à les différencier des anges.

Mario entendit dans son rêve la petite fourmi qui parle par télépathie.

A Pinpon dans la forêt de Brocéliande
L'autochtone répondit à Mario
Merlin? Merlin? Merlin comment?
— L'enchanteur!
— L'enchanteur?

Comme tous les dimanches soir d'hiver après avoir vu un film catastrophe, Mario cuisinait avec son ami M. Ce soir, c'était haricots de mouton, forcément, ils avaient vu Volcano. Les deux compères contemplaient béatement les petits haricots souriants. Ils semblaient heureux et faisaient des petits bruits de bonheur. Les petits amis eurent un petit râle qui se transforma en des tas de petits geysers sifflotant.
C'était prêt!

Mario se mit à vibrer. Ses artères vibraient, son sexe vibrait, son cerveau, ses molécules, protons, quartz, neutrons et tutti quanti. Absolument tout vibrait.
Mario pensa à Rimbaud. C'était peut-être cela: et l'amour infini lui montera dans l'âme. Une grosse vibration en forme de courant d'air qui traverse le corps en cherchant quelque chose.

Un jour, Mario rencontra sur une plage une petite pêcheuse. Une petite fleur qu'il entraîna dans la forêt vierge. Son corps était le plus doux du monde. Ses petites fesses avaient la même luminescence que la lune. Sa peau sentait l'Inde vertigineuse.

Mario s'acheta des petits animaux dans du savon transparent. Elle était là l'idée du temps, un gorille, un hippo, une girafe. Il « userait » sa peau pour la création du zoo du bord de la baignoire. Pour la création d'un temps propre…

Mario se dit qu'il pourrait activer son Hologramme et amener Hoover au BHV.

Mario rencontra des créatures de rêve qui étaient prêtes à le suivre jusqu'au bout de la nuit, sinon plus. Ils se dirigèrent donc vers le plus. Mario après quelques rituels les dévisagea très sérieusement:
« Mais, vous êtes noires! »
Mario ne comprit pas, mais les filles disparurent terrorisées.

Mario lu dans une revue scientifique que la zoophilie était une pratique courante au paléolithique. Les bisons de Lascaux Playboy pour Cro-Magnon, New-Look
des âges farouches, Penthouse du Néandertal.

Mario se dit que le comble qui puisse arriver à un homme, ce serait de tomber amoureux d'une petite actrice magnifique, d'être invité pour la première fois à passer la nuit chez elle, et d'y boucher les toilettes.

Mario portait les mêmes Nike noires que ceux de la secte de San Diego qui se sont suicidés tout habillés sur des lits superposés.

Mario avait une fiancée qu'il aimait. Tous les soirs, il faisait joyeusement pipi en sautillant tout autour du lit. Il était heureux comme une mouche en été.

Un jour à Yokohama on servit à Mario un poisson qu'il mangea vivant. Son œil noir regardait Mario en train de déguster l'intérieur de lui-même.

Mario dans l'avion revenant d'Afrique remarqua que les housses oranges des sièges étaient assorties avec le lever du soleil.

Mario remarqua qu'il y avait un rapport direct entre Paul Verlaine et Claude François.

Dans la forêt, elle embrasserait Mario. Un baiser comme un satellite qui voyagerait seul dans le vide interstellaire et qui n'aurait que quelques secondes pour fusionner avec un spoutnik.

Un certain dix juillet à Ramatuelle, Mario s'essayait à raviver la braise d'un barbecue. Soudain des flammes jaillirent.
Le regard de Mario resta un long moment vide, fasciné.
Mario pensa à la chienne Yorkshire toute proche et entourée d'une meute. Très probablement en chaleur lui semblait-il. Mario se demanda si la période de chaleur des chiennes était universelle, si elles en avaient plusieurs par an, si cela dépendait de leur date de naissance, si l'été pouvait avoir une influence sur elles et si les femmes, elles aussi pouvaient avoir des chaleurs.
Mario positionna la côte de bœuf et se dit qu'il devrait peut-être acheter le chapeau noir de Yul Brunner dans Les sept mercenaires qui passait le seize septembre dans une vente aux enchères.
Il serait impeccable pour le barbecue!

Mario dans le métro à la station Châtelet les Halles pensa qu'il devrait peut-être inviter plein d'inconnus à vivre chez lui pour s'assurer qu'il n'était pas paranoïaque.

Mario se retrouva dans un restaurant français à Pondichéry.
Julien Clerc chantait à tue-tête « Femmes, je vous aime ».
Mario avait visité l'après-midi même l'Ashram de Sri Aurobindo. Il se demanda comment une personnalité aussi complexe qu'Etienne Roda-Gil puisse écrire des choses aussi simples.
Il pensa à Alexandrie Alexandra. Mario se dit qu'il y avait peut-être dans la variété française un ordre caché qu'il lui faudrait découvrir.

Mario se dit qu'il éditerait peut-être ses histoires avec de l'encre spéciale. Les majuscules Daïquiri, les minuscules Caïpirinhia, les accents aigus au citron vert et les graves au Pim's à la menthe fraîche avec concombres. Peut-être qu'il y aurait aussi quelques points d'exclamation… Perrier c'est fou…

Mario rêva d'un petit lapin blanc, il l'appela Janvier.

La jeune fille était nue debout face à Mario, elle portait juste un soutien-gorge noir La Perla. Mario se demanda s'il allait avec sa main droite caresser son sein gauche ou avec sa main gauche caresser son sein droit. Mario trancha pour la main droite sein gauche et entama le geste. Soudain il changea d'avis pour la main gauche sein droit. Mario se dit que c'était vraiment débile et que cela reviendrait de toute manière au même. Il avait pris une décision en choisissant la main droite sein gauche, mais comme il avait changé pour la main gauche sein droit cela devait certainement être une décision encore plus décisive qu'il se devait de respecter. Mais alors ce n'était plus assumé son premier choix. Mario ne savait plus et resta complètement immobile, retenant sa respiration. Il ferma les yeux…

— À la maison mère dit Mario au taxi

Mario avait toujours bien aimé à la télévision la publicité pour OBAO. Un jour, il entendit un psychanalyste dire qu'elle ciblait plutôt les femmes lesbiennes. Mario s'interrogea fortement sur la fraîcheur sèche.
Peut-être confondait-il avec NARTA.

La fiancée de Mario, elle confondait mille-feuille et mélancolie, dans le noir, elle se tapotait les yeux en criant Space Mountain II. Dans le cou, elle était pré-salée et sentait la neige.

Mario vivait dans une ville où les poubelles étaient parfois occluses.

Un hiver, Mario irait dans une clinique à Beverly Hills se faire greffer un sein de femme. Un petit sein genre Vanessa Paradis. Dans les dîners, quand il s'ennuierait, discrètement il fermerait les yeux, et déferait délicatement un bouton et glisserait sa main dans sa chemise blanche, puis le toucherait un peu, en pensant aux lèvres noires de Maya.

Mario un soir tard dans une piscine trouva cela vraiment loufoque.

La lumière y serait tamisée et l'eau tiède. Mario y susurrerait amoureusement à l'oreille de la fille aux yeux bleus, nue, qui
ne parlait pas français.
Ta mère en short devant Darwin!

Mario avait depuis toujours été fasciné par la voix de Maurice Ronet. Il s'était toujours dit que s'il avait été une femme, il aurait été amoureux de cet homme à cause de sa voix. Mais Mario n'était pas une femme et Mario n'aimait pas les garçons. Et surtout Maurice Ronet était mort depuis longtemps.

Au Flore, la fille répondit à Mario
— Je travaille à 20 ans jusqu'à l'aube.

Mario s'aperçut que ses ennemis l'avaient localisé. Ils avaient réussi à cacher des images subliminales dans les glaçons de sa vodka tonic. WOTO pour les intimes!

Masse bien petite main afin d'éviter ce ténébreux vertige préhistorique à Mario.

Mario le soir à Ibiza face à Vedra mangeait l'encre noire de seiche, buvait le sang de taureau puis allait, nu, paisible, se rafraîchir dans le plancton fluorescent sous le ciel étoilé.

Quel avenir pour les 17 chemises blanches de Mario?

— Les nunuches c'est les mieux, elles n'ont pas le sens du tragique.

Mario n'aimait ni les caissières de supermarchés, ni les manucures, ni les esthéticiennes. Mario aimait les shampouineuses. Il y a un maître Tao à qui on a demandé ce qu'il sauverait dans un incendie. Il a répondu qu'il sauverait un chat mort parce qu'un chat mort personne ne peut lui donner de valeur. Comme les shampouineuses. C'est pour ça que Mario les aimait.

Mario jura. Jamais, strictement jamais, il ne refusera une barre de Mars glacée.

Mario adorait se faire masturber le neuf août ou devant un incendie d'étoiles filantes.

Dans le Très Grande Vitesse, Mario fondit dans ses Yeux.

Comme Gérard de Nerval et les épagneuls bretons, Mario était mélancolique. Un jour, pris d'une fièvre soudaine, Mario décida, pour se changer les idées, d'aller visiter la grotte de Lascaux.
Il ne pouvait visiter que la vraie fausse grotte, découvrit-il, car pour visiter la vraie vraie, il fallait s'inscrire sur une liste d'attente de plusieurs années. Ridicule, pensa-t-il. C'était tout un rituel pour la visite de la vraie vraie, une mission. Une préparation psychologique totale avec, à la clé, un massage qui élimine les sudations d'angoisse acides qui pourraient attaquer les peintures rupestres. Mario se décida donc pour la visite de la vraie fausse, tant pis pour le massage préalable. Mario se rendit compte qu'il n'y avait pas que de la mélancolie dans la vie mais aussi un vertige ancestral des profondeurs et que définitivement le monde préhistorique était intra-utérin.

Mario lu dans le papier de chocolat Bacci:
— A nous deux Noumène!

Mario adorait les montagnes. Elles étaient pour lui des aires de protection. Il pouvait aller y faire du ski et enlacer tendrement devant la cheminée cette douce jeune fille blonde qui portait sur l'épaule la même scarification que Lady Winter.

Mario aimait le vent.

Mario rencontra de gentils Smiley, eux aussi en quête de ce paradis perdu où saute la truite argentée comme nulle part ailleurs.
Ce quelque part où rien n'est stable. Feu d'artifice de jour.
Au-delà du fleuve et sous les arbres.

Mais l'ange s'installa juste derrière lui, à la même caisse.
Mario se retourna légèrement et jeta un regard discret. L'apocalypse.
L'ange avait le regard posé sur les Lotus Carrés.

Mario avait vu dans ses yeux un mélange d'effroi et d'extase.
Elle était juste évanouie en descendant du Zodiac.

Mario s'aperçut immédiatement qu'il ne s'agissait pas d'une Pizza normale mais d'une Pizza Mandala.

Au cinéma, Mario se blottit sous le siège. Il bandait un peu.
Il entendait le vent souffler dans les arbres. Mario aimait décidément beaucoup les films d'Antonioni.

A Etretat, Mario prit la main de la jeune fille et pensa au chant des paysannes dans Riz Amer, à la fin de Duel au Soleil, à Olivia del Rio, au niveau huit de Doom II, à la mort de Bruce Lee.

Mario ne se souvient rien du bien de rien.
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