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Education et totalitarismeL'éducation dans les pays d'Europe centrale et orientale

extrait
Introduction
Pierre Statius *
(p. 5-6)


Ce colloque s'inscrit dans la continuité d'un travail pluridisciplinaire entamé à l'occasion de journées d'étude consacrées à François Furet, il en poursuit le projet en en déplaçant l'objet et les enjeux (1). L'idée centrale est la suivante : le totalitarisme n'est pas seulement, comme l'indique Claude Lefort dans L'Invention démocratique une double négation – négation de la séparation entre l'État et la société civile et négation de la diversité sociale au sein de cette même société civile –, il est également un projet politique et anthropologique qui met au coeur de ses préoccupations la question de l'éducation. Aussi nous a-t-il semblé intéressant, dans le cadre de la réflexion menée depuis plusieurs années sur l'expérience démocratique, de confronter l'éducation à ce qui en est apparemment le plus éloigné, à savoir le totalitarisme. La confrontation de l'éducation, thème éminemment de nature démocratique, avec cet adversaire redoutable qu'est le totalitarisme nous a semblé être un thème heuristique. Ce d'autant d'ailleurs que la démocratie et le totalitarisme ont, pour reprendre encore une fois une thèse de Claude Lefort, une filiation dans la mesure où le totalitarisme peut être lu comme une réponse pathologique et régressive aux contradictions de la démocratie.
Dans une première partie, intitulée « Les totalitarismes et les éducations : Europe XXe siècle », un premier moment est consacré à l'étude philosophique et historique du concept de totalitarisme et de certaines aventures totalitaires. Ainsi Philippe Raynaud dresse-t-il le bilan du concept de totalitarisme dans l'histoire intellectuelle du siècle. Jean- Yves Frétigné rappelle le rôle central de l'éducation dans la pensée de Giovanni Gentile. Stéphane Courtois enfin s'intéresse à la sortie de l'univers totalitaire et donc à la façon d'en faire un objet d'éducation : il présente l'expérience éducative du Mémorial du communisme de Sighet en Roumanie de 1989 à 2012.
Un second moment de cette première parie étudie plus précisément quelques éléments topiques de l'éducation totalitaire. Après l'exposé de Jean-Pierre Hammer consacré à l'école totalitaire en RDA, François Werckmeister étudie le cinéma de propagande et ses résistances durant le printemps de Prague. Enfin Jean-Michel Barreau revient avec précision sur l'éducation sous Vichy.
La seconde partie de l'ouvrage est tout naturellement consacrée aux figures de la résistance. Une conviction nous anime : les pays d'Europe centrale qui connaissent les deux totalitarismes au XXe siècle sont porteurs d'une expérience unique, d'une foi précieuse et inaltérable dans les vertus de la culture et de la pensée. Bref dans cette Europe occidentale qui semble exténuée, il y a une vitalité philosophique, une force littéraire qui font de ces petits pays d'Europe centrale un exemple et un trésor culturel précieux. Dans un premier moment sont évoquées les figures philosophiques de la résistance. Pierre Statius retrace l'itinéraire tout à fait exceptionnel de ce dissident dramaturge devenu Président de la République : Vaclav Havel est un exemple saisissant – et il n'y a pas d'éducation sans exemple – de ce qu'est la culture quand elle est mise au service de la vérité et de la liberté. La philosophie de Patocka est analysée dans les deux contributions d'Émilie Tardivel et d'Anne Gléonec : la philosophie de Patocka domine le siècle, son courage politique auprès de Havel dans l'aventure de la Charte 77 force l'admiration. Enfin Carole Widmaier montre comment on peut et on doit combattre, comprendre et agir avec Hannah Arendt.
Un second moment privilégie les figures littéraires et culturelles de la résistance. Éric Vial retrace le parcours d'un jeune intellectuel face au fascisme mussolinien. Anna Blandiana s'interroge sur le rôle de la mémoire dans les régimes post-communistes et évoque la possibilité d'un mémorial entre deux Europe. Christophe Maillard revient sur la figure controversée d'Ismail Kadaré au coeur du régime albanais. Éric Dubreucq propose une méditation sur le sujet post-moderne et posttotalitaire à partir de la lecture de Milan Kundera. Enfin, Sophie Statius revient sur cette expérience littéraire et langagière exceptionnelle chez les écrivains du groupe 47 autour d'Ingeborg Bachmann.
La richesse de ce colloque tient évidemment à l'approche pluridisciplinaire que nous avons maintenant l'habitude de privilégier, mais aussi à l'importance des questions traitées : que devient l'idéal classique et humaniste dans nos sociétés occidentales ? L'Europe peut-elle se contenter d'être un grand marché sans idée ni projet ? Que doit-on attendre de l'éducation dans une société démocratique ?


* Maître de Conférences en philosophie politique de l'éducation, Université de Franche-Comté, Logiques de l'Agir, EA 2274.
1. Christophe Maillard & Pierre Statius, François Furet. Révolution française, Grande Guerre, Communisme, Paris, Éditions du Cerf, collection Cerf Politique Démocratie ou Totalitarisme, 2011.


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