les presses du réel

Sources

extrait
La publication « Sources » propose une lecture d'inserts de vingt pages réalisés spécifiquement pour l'espace du livre. Dix artistes ont pensé une forme nouvelle, à partir d'œuvres déjà existantes (Cécile Dauchez, Ymane Fakhir, Hayan Kam Nakache, Cristof Yvoré), à partir d'œuvres en préparation (Michèle Sylvander, Jean-Baptiste Sauvage), ou encore l'ont conçue à cette occasion (Humi Yan, Colin Champsaur, Denis Prisset, Stéphane Le Mercier).
Au texte qui aurait proposé une explication est substitué, a posteriori et in extenso un texte prééxistant auquel la note de bas de page du texte non écrit aurait renvoyé. Identifié par l'éditeur, ce texte est présenté comme « source » de l'œuvre qu'il accompagne : le texte absent transforme en texte la note de bas de page. Quant aux sources des artistes, on se référera à la page que leurs marque-pages personnels désignent, et qu'ils ont bien voulu ici partager. Alors la page et le texte coupés appellent à fermer ce livre et à en ouvrir un autre. Enfin, et parce que ces associations ne sont pas tant expliquées qu'annoncées, des posters tiennent lieu de couverture et têtes de chapitre.
Puisque c'est la source de ce livre même, il faut citer la scène de la loterie du Satiricon de Pétrone (§54) : pour saisir la richesse des rapprochements apparemment absurdes ou arbitraires qui expliquent les lots distribués aux participants, il faut en passer par l'éclairage de la note de page.
Ce parti-pris en forme d'herméneutique inversée suggère qu'à vouloir remonter à une source, on la trouble - et qu'alors l'économie éditoriale de cette publication s'en trouve bouleversée. Il est de surcroît appliqué à des œuvres d'artistes choisies en fonction de leur puissance d'auto-affirmation et non de citation, de leur capacité à s'affirmer comme étant à elles-mêmes leurs propres sources. Il s'agira alors de résister à la logique de rapprochement qui préside à toute découverte d'œuvre, tentation qui, sous couvert d'explication, ramène l'inconnu au connu et en amoindrit la possible déflagration. On voudrait ainsi, brutalement, permettre à la fois lecture et contemplation de l'œuvre, sans que l'une ne prévale sur l'autre.
À la différence de l'origine, unique, et dont le dévoilement est illusoire, il n'y a de sources qu'au pluriel : leur recension relève alors d'une poétique de la bibliographie. Les sources proposées croisent les questions de la forme de l'âme (Jean-Baptiste Gourinat, Charles Wolfe), de la compréhension de la subjectivté (Sandra Laugier, Ernst Bloch), de l'engagement (Pierre Zaoui, Georg Lukács), et des philosophies dont on n'a pas plus fini que commencé de mesurer la portée (Henri Poincaré, Manuel de Landa). Toutes, à leur manière, abordent la question des rapports possibles aux Anciens, la question des « sources » en fin de compte (Peter Sloterdijk, Jackie Pigeaud).
J'aurais beau jeu de le prétendre, ces sources ne surgissent pas ex nihilo - quand bien même elles le font ex abrupto. Ces sources, elles m'ont formé, elles m'accompagnent, elles me hantent. Elles sont le prisme par lequel, jusqu'ici en secret, je lis, regarde et découvre le monde.
Vincent Romagny


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