les presses du réel

MuMoLe Musée Mobile – Volume 1

extrait
Le musée en chemin
Alain Kerlan
(extrait, p. 96)


Au moment où j'écris ces premières lignes, le MuMo, après avoir sillonné les routes de France, a déployé les ailes de son rêve artistique au cœur de l'Afrique, au cœur de l'enfance. Et c'est par le truchement du regard et de la plume de la presse que me revient le regard et le saisissement des élèves de l'école Akwa, à Douala. Ce jeudi 15 mars 2012, le journal Le Monde, sous la plume ellemême émerveillée d'Emmanuelle Lequeux, consacre une pleine page à un article sur ce qu'il faut bien appeler l'événement. Voilà donc que le MuMo, musée mobile imaginé par Ingrid Brochard, fait halte au Cameroun avec sa cargaison d'œuvres d'art, s'installe dans la poussière d'une cour d'école. Voilà que « la frêle Mpemboura, petite Camerounaise, vient de passer quelques minutes dans l'installation d'un immense artiste américain, James Turrell : une bulle où les enfants pénètrent pour se laisser irradier par un arc-en-ciel de couleurs », et que la timide petite fille, dix ans à peine, murmure : « Je suis entrée au paradis ! ». Et voilà que l'envoyée spéciale du Monde elle-même, visiblement et justement émue, ose ce titre dont elle ne méconnaît nullement l'ambiguïté et le trouble qu'il pourra susciter : « Le rêve artistique peut-il transformer l'Afrique ? »
Je ne m'étonne ni de cet enthousiasme, ni de ce trouble. Je le sais et tente de le comprendre depuis quelque temps : je constate en effet que c'est du côté de l'art et des artistes qu'on se tourne aujourd'hui pour ranimer l'espérance éducative ; que c'est du côté de l'art et des artistes que s'anime à nouveau l'idéal éducatif. Mais sur les chemins des villages de France, le « rêve artistique », enveloppé dans le container que recouvre le camion rouge rayé de blanc habillé par Buren, recoupe nécessairement le « rêve d'école » ; arrivé en Afrique, comment ne serait-il pas rattrapé et troublé par l'histoire et les échos d'une certaine « mission civilisatrice » ? Ce trouble est nécessaire et salutaire. S'il n'a pas à lui seul le pouvoir d'empêcher le « rêve artistique » que nous avons en partage de s'égarer dans la fonction d'un supplément d'âme à l'âge de la mondialisation, du moins nous prévient-il et nous incite-t-il à la lucidité et à la vigilance.
(...)


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