les presses du réel
extrait
Comment l'art se fait
Anne Pontégnie, Xavier DourouxLe Consortium
(p. 8-11)


Christopher Wool est un artiste qui s'est entièrement consacré à la peinture, à son espace et à ses spécificités, à sa capacité unique à rendre compte du réel. En réduisant les paramètres de son expression, il est progressivement parvenu à une maîtrise exceptionnelle de son art. Pour Wool, le lieu de la création est l'atelier où il travaille avec une concentration et une exigence absolues. L'invitation qui lui a été faite de créer des vitraux pour la salle capitulaire du prieuré de La Charité impliquait nécessairement une sortie de l'atelier, une sortie de son environnement – entre New-York et le désert de Marfa au Texas –, et plus encore une sortie de la pratique picturale au sens physique du terme. Par ailleurs, cette invitation représentait aussi une occasion extraordinaire d'inscrire son vocabulaire dans une durée plus longue et une réalité plus concrète que celles offertes par le contexte de l'art contemporain.
Toutes les séances de travail se sont déroulées dans l'atelier de Pierre-Alain Parot, maître verrier bourguignon, qui a consacré toute sa vie au travail du verre, dans ce qu'il a de plus difficile et de plus expérimental, associant une histoire presque millénaire aux techniques et pratiques les plus contemporaines. Son écoute, sa curiosité et sa patience ont immédiatement créé les conditions idéales pour que l'artiste puisse librement explorer les possibilités et les défis qui s'ouvraient à lui. Dans un premier temps, c'est la question de la transparence du support, qui de fait inverse la donne de la toile, support opaque sur laquelle la matière s'ajoute, qui l'a dérouté. Toute tentative de poser un geste pictural opacifiait le verre. Or, la pratique picturale de Wool repose sur le geste, posé, superposé, repris, et effacé. C'est après plusieurs mois de réflexion que le plomb, utilisé pour assembler les morceaux d'un vitrail, est apparu comme un outil possible. En effet, le plomb offrait la possibilité de venir tracer sur le verre comme la ligne d'un dessin. Ces dernières années, Wool a beaucoup expérimenté le travail sur ordinateur, et notamment le dessin. C'est à partir de cette technique qu'il a décidé de travailler au plomb la composition des vitraux. Le premier croquis que Pierre-Alain Parot a transposé s'étant avéré convaincant en terme de rythme et de composition, la piste du plomb a donc été retenue. Le travail s'est ensuite orienté d'une part vers l'articulation des cinq baies entre elles et d'autre part vers les textures et couleurs du verre. La question de la couleur est restée présente tout au long du processus. En effet, si la peinture de Christopher Wool se caractérise par le noir, le blanc et le gris, il travaille ponctuellement la couleur, souvent de manière monochromatique. Le plomb seul, posé sur un verre transparent soufflé à la bouche, puis cuit pour lui donner de la texture et un effet opalescent, offrait l'avantage d'une grande pureté et d'une lisibilité accrue du dessin, mais l'œuvre de Christopher Wool est en tension, elle associe le minimalisme et l'expression, le doute et la certitude, l'abstraction à la matérialité. La couleur – finalement un jaune vif – permettait d'une part d'exploiter pleinement la potentialité du vitrail comme matériau, et d'autre part d'introduire un élément de composition supplémentaire, en tension avec la beauté contenue de la ligne de plomb.
Pour nous tous qui avons accompagné Christopher Wool et Pierre-Alain Parot dans leurs conversations et leurs expérimentations, ce fut l'occasion d'être témoins de comment l'art se fait, de constater à quel point la pensée de l'artiste s'accroche, suit, mais aussi transforme les matériaux qui lui sont donnés.



L'histoire des vitraux de Christopher Wool à La Charité-sur-Loire est un entrelacement de circonstance et de continuité
Société des Nouveaux commanditaires
(p. 37)


Circonstance – la dynamique de l'indéterminé –, dans la mesure où plusieurs tentatives d'« invitation » faite à des artistes avaient précédemment échoué : c'est le principe contraignant d'une commande, avec ses obligations réciproques, qui allait permettre d'atteindre l'objectif. Encore fallait-il s'astreindre collectivement à préciser, enrichir, donner sens à la demande.
Continuité – la structure du tracé –, celle de la réappropriation, dans la mesure où l'histoire du prieuré, c'est aussi l'épisode post-révolutionnaire de son réinvestissement en tant que partie intégrante de l'urbanisme et de l'activité de la cité : c'est sur les sédiments de l'histoire de la ville que pouvait s'imaginer l'apparition des commanditaires (élu local et responsables territoriaux du patrimoine). Encore fallait-il qu'ils assument la responsabilité du dialogue avec l'artiste.
Entrelacement, il en fut constamment question dans la présentation des enjeux, mêlant histoire et contemporanéité, par Gaëtan Gorce (sénateur-maire), Luc Jolivel (chef de projet patrimoine) et Paul Barnoud (architecte en chef). Entrelacement encore, tout au long du processus de mise en commun créatif qui associa Christopher Wool et Pierre-alain Parot. Sans oublier, pour conclure, la référence permanente aux entrelacs des pages tapis des manuscrits irlandais (entre le VIIe et le IXe siècle) qui venait souvent à l'esprit de Xavier Douroux et Anne Pontégnie (médiateurs) au fur et à mesure de l'avancée du projet.


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