les presses du réel

Palais #19

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Edito
Jean de Loisy
(p. 19)


Embarqués dans leur époque, les artistes, les poètes, les philosophes parfois se replient pour préserver la limpidité de leur inspiration que le clapot des contingences doit épargner. Cette attitude, cette volonté de plonger à l'intérieur de soi pour se préserver du temps qu'il fait, ne nourrit toutefois que très exceptionnellement les oeuvres orgueilleuses d'artistes solitaires. D'autres préfèrent se confronter aux vents du présent, agir avec leurs moyens d'artiste ou de poète, pour élargir les savoirs et influencer les consciences, considérant que faire face à ces enjeux est aussi le rôle de l'intellectuel. Ce chemin – rude – a été la source de nombreux chefs-d'oeuvre qui purent, avec la force de leur forme tragique, dire le point où l'humain et l'inhumain se distinguent. Goya et les désastres de la guerre, Hugo et la peine de mort, les Dadaïstes face au drame européen, Otto Dix et les tranchées, Picasso et Guernica, Zoran Mušič et les camps… Les exemples – nombreux et précieux – montrent comment ces moments de l'histoire des hommes ont conduit les artistes à renouveler leur langage pour atteindre, en nous, des régions de l'être qui n'avaient pas été suffisamment touchées par les circonstances.
C'est encore une autre voie qui caractérise les oeuvres rassemblées sous la large ombrelle de « L'État du ciel », titre donné à la nouvelle saison d'expositions du Palais de Tokyo et inspiré d'une phrase du Promontoire du songe dans lequel Victor Hugo annonce que « L'état normal du ciel, c'est la nuit. » Cette remarque astronomique est ici entendue comme une métaphore pour montrer comment les expositions inventées par les artistes et les penseurs invités pour cette saison ne répondent pas à l'époque par la représentation du drame, mais par des fictions ou des poèmes visuels. Ensemble, ceux-ci témoignent de ce que les artistes, adressant des questions à l'obscurité, en retirent pour nous de nouvelles formes, de nouvelles possibilités qui inquiètent peut-être, mais surtout témoignent de leur vigilance. En cela, ils m'évoquent ce qu'André Breton disait de Giorgio De Chirico : « L'artiste, cette sentinelle sur le sentier, a à perte de vue des qui-vive. »
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