les presses du réel
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Le sommeil de la raison
Jean de Loisy
(extrait, p. 20)


Rien n'a changé. Jusqu'en 1989, en Chine, Huang Yong Ping développait une œuvre combative dont l'enjeu était de parvenir à une nouvelle correspondance entre l'art, la culture et la conscience politique. Un slogan, ou plutôt un aphorisme magnifique digne de celui de Filliou, résumait alors son travail au sein du mouvement Xiamen Dada : « Une nouvelle vie réclame un nouvel art, une nouvelle vie n'a pas besoin d'art. » Cette affirmation trouva une illustration devenue légendaire lors de la destruction de l'exposition Event en novembre 1986. La phrase tout comme l'action manifestaient à la manière d'une parabole la recherche d'une consubstantialité entre l'art et la vie, supposant que, les œuvres ayant agi pendant leur création et leur exposition sur ses créateurs comme sur les regardeurs, il était inutile d'en préserver la matérialité. Pour le signifier un recueil d'aphorismes fut publié, intitulé Statement on Burning, dans lequel on pouvait lire : « Tant que l'art n'est pas détruit, la vie ne peut être apaisée. »
Rien n'a changé. Huang Yong Ping, depuis son installation définitive en France, puis dans le développement international de son travail, s'empare avec profondeur des formes et des croyances de l'Occident et de l'Orient. Ses œuvres dénoncent certains aspects de nos sociétés, montrant en particulier le potentiel de fascination et de violence associé aux ambiguïtés de la fonction sociale de la culture. Perturbateur néo-dadaïste radical au début des années 1980 en Chine, il entreprend depuis, avec une même détermination, une puissante remise en cause politique de nos certitudes.

C'est ainsi qu'il se confronte maintenant aux grands récits qui fondèrent la civilisation occidentale, tachant d'en restaurer l'efficacité symbolique. L'immémoriale notoriété de ces mythes qu'il revisite crânement vient de ce que leur configuration permet aux hommes d'y projeter des réponses aux grandes énigmes du destin. Mais que ce soit l'histoire de Noé telle que la décrit la Genèse, source d'Arche 2009, ou bien l'allégorie de la caverne extraite de la République de Platon, qui inspire l'œuvre conçue pour la galerie kamel mennour, Caverne 2009, ces mythes ne sont en aucun cas des prétextes pour parvenir à une sculpture. C'est la forme même de ces textes fondateurs qui est explorée, triturée avec une obstination qui rappelle la réalisation en 1987 d'une œuvre essentielle : « Histoire de l'art chinois » et « Histoire concise de la peinture moderne occidentale », laver pendant deux minutes dans une machine à laver. Certes, ce travail séminal remet en cause l'opposition entre l'universalité de l'art et les particularismes culturels ou nationalistes, au fond la question de la globalisation dans l'art moderne. Certes, de ces deux ouvrages brassés conjointement puis replacés dans les rayonnages de la bibliothèque dont ils étaient issus, avait disparu toute possibilité d'identité culturelle, tout dogmatisme esthétique. Pourtant, l'essentiel n'est pas l'apparente destruction de ces livres, mais au contraire que, de cet amas de matière, résonne encore l'idée du livre. Un objet qui, ayant subi cette profonde mutation, synthétise désormais la double nature de la culture, matière morte ou essence de vie contaminante. Loin d'être anéanti, l'ouvrage ainsi malmené est propulsé dans un autre cycle de son existence et accède à un nouvel état, tout aussi perturbant, celui d'objet de méditation.
(...)
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