les presses du réel

Journal-poster #02

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Bernard Dufour
(extrait)


(...) J'ai toujours, dès le début de mon travail photo, été frappé de mon incapacité à choisir sur une planche-contact la « bonne » photo, toutes m'apparaissant également belles, d'où ma tendance à les agrandir toutes, seule la paresse ou le manque de temps m'empêchant de mener à bien cette tâche. Je me suis démontré à moi-même cette égalité dans la beauté en photographiant le paysage vu du train en appuyant le parasoleil de l'objectif sur la vitre et en déclenchant à intervalles fixes, toutes les 5 minutes ou toutes les 12 minutes d'un voyage à l'autre. De la même façon quand mon Leica Autofocus me permit de photographier absolument sans aucun réglage, donc à toute vitesse et n'importe comment, les jeunes femmes qui posaient nues à l'atelier sur le lit des modèles, plus encore qu'autrefois avec le Leica IIIG qui demandait des mises au point difficiles et longues, je me trouvais devant l'égale beauté des 36 photos incapable d'en choisir une aux dépens des autres et j'agrandissais la totalité du film.
Comment en suis-je venu à mêler intimement peinture, dessin et photographie, à tout mettre sur le même plan ?
En 1972 au début de l'été j'arrive à ma campagne, le Pradier, et tout d'un coup je suis saisi par l'urgence d'avoir un modèle, un corps à dessiner. Je prend le Rollei et son pied. Je me mets nu et prends trois photos au retardateur, de face, de profil, de dos, sous les pommiers, devant un mur du jardin. Je développe, tire et aussitôt photo en main je dessine avec un fusain sur une toile blanche.
Sous la pression de la carence et de l'urgence, je venais d'inventer ce qui allait devenir une de mes méthodes de travail : utiliser en guise de modèle, en simulacre, tenues à la main ou punaisées sur une planche, les photos que j'avais prises, développées, cadrées, agrandies.
Dès lors je ne cesserai de multiplier les prises de photo des femmes que j'aime et aussi d'inconnues de passage, et investiguant toutes mes planches-contacts, de fabriquer un trésor de corps de femmes. Un continuel va-et-vient entre les photos, les dessins, les peintures s'était mis en place.


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